Mort d'Antoni Tapiès. Départ d'un immense visionnaire, le lundi 6 février 2012
Je ne peux pas écrire sur Tapiès, car cet immense artiste qui vient de nous quitter a lui-même écrit de nombreux livres racontant sa vie et ses recherches, ses expérimentations notamment dans « Mémoire, autobiographie » aux éditions Galilée. Nous rapporterons simplement quelques lignes de ses livres pendant quelques jours, qui nous ont particulièrement touchées. Rendons aussi hommage à Jacques Dupin, co-directeur de la galerie Lelong, merveilleux écrivain, qui a écrit un splendide texte sur l’artiste catalan en 1963, qui permit leurs échanges et l’entrée de l’artiste aux mains miraculeuses à la galerie Lelong.
Retrouvez chaque jours pendant une semaine des textes d’Antoni Tapiès sur Ouvretesyeux.
Lundi 13/02/12
« Je crois que le langage du peintre, de la préhistoire jusqu’à l’heure actuelle, peut être aussi efficace, sinon plus, que celui des mots. Ses effets peuvent fort bien ne pas être analysés par la raison (encore qu’on puisse toujours le faire), et ils agissent quand même sur nous. Une exposition peut être – elle ne l’est malheureusement pas toujours – bien autre chose que ce à quoi beaucoup de gens croient qu’elle se limite : un endroit où on vend des tableaux. Aujourd’hui, une exposition peut être une manifestation d’une grande efficacité sur la société, au même titre qu’un pièce de théâtre ou qu’un meeting politique. «
Antoni Tapiès, « Mémoire, autobiographie »,Editions Galilée, 1981, p.415.Le 10/02/12
« La poésie de toutes les choses sans relief, innocentes, quotidiennes, voire monotones. Savoir donner, se livrer perpétuellement, jusqu’à l’annulation, voilà une leçon que bien des gens devraient apprendre aujourd’hui. C’est le grand paradoxe de l’humanité. Car ceux qui donnent ou qui se détachent – du moi, des connaissances, de l’abondance… – sont finalement ceux qui reçoivent le plus. C’est le prix – tout à fait terrestre – de l’amour, engendré par l’amour.
En étudiant plus à fond l’hindouïsme, et notamment, à ce moment-là, l’action de Gandhi, je trouvai la confirmation de nombreuses attitudes dont j’apprenais la valeur tous les jours : le service, la parfait désintéressement, la non-violence, et tant d’autres choses !
Je ne sais par quelle intuition extrêmement salutaire, Teresa se moquait de ma « recherche de la sagesse », ainsi que tous les grands faits spectaculaires communément admirés. Elle parvenait tout naturellement au point que j’avais tant de mal à atteindre. «
Antoni Tapies, « Mémoire, autobiographie », 1981, pp.396-397.Le 9/02/12
Antoni Tapiès
« Il fallait donc pousser plus loin l’expérimentation de la perception visuelle purement picturale, abandonner l’idée d’un code, se lancer dans le vide, avec le seul souci de tenter de rendre « évident » ce que l’on recherche. Je compris ainsi que les possibilités de formes et de couleurs sont infinies, dès lors que l’on sort du « géométrisme » pour entrer dans le monde incommensurable de l’organique, de l’ « amorphe », de l’ambigu, de la tache, de l’expressionnisme du geste pur, de la calligraphie, etc… comme me l’apprirent les peintures chinoise et japonaise. Mais je commençais aussi à me rendre compte que dans ce nouveau langage, on n’avait pas encore exploré (du moins suffisamment) les possibilités d’un troisième élément : la texture, qui pouvait elle aussi d’être d’une grande force expressive. (Je me rappelle avoir pensé – et réalisé – des oeuvres, dans lesquelles par exemple, je voulais suggérer la présence d’un reptile, sans le dessiner, simplement en donnant à la matière une surface d’aspect squameux. On a la sensation de vieillesse avec des surfaces rappelant une peau ridée. Ou celle de ruine avec des matières croûtées et arrachées par endroits. Etc…)
Restait la possibilité d’utiliser ou de suggérer directement des images nettement figuratives. Comme l’avaient dit les surréalistes, pourquoi se mutiler soi-même en s’interdisant toute allusion au monde visuel ? N’était-il pas possible de combiner la peinture avec des images photographiques, des collages, ou avec le monde de l’écriture ? Ou avec la simple présence d’objets plus ou moins détournés de leur usage habituel, ou combinés entre eux ? ….
Dans cet état d’esprit, je fis une série de peintures remplies d’allusions à la combinatoire d’éléments naturel…, tendance qui allait s’accentuer au cours des années suivantes, et qui constituait déjà une sorte de déclaration de principe : l’univers tout entier et l’homme sont faits des mêmes éléments. … C’était comme une volonté de montrer plus que jamais le piège de la raison, la « maya » du monde. Tout était imprégné d’une sorte d’infinie croissance organique, et je tentais, par des formes vagues et curvilignes, de m’approcher le plus possible des mouvements les plus intimes et les plus secrets de la nature. Pour ce faire, je n’utilisais pas les simplifications des « abstraits », mais les techniques les plus expérimentales et les plus insolites, dont seuls certains grands maîtres de l’époque surréaliste avaient eu l’intuition. Ce fut donc des moment de filets collés sur la toile, des matières arrachées, des taches faites au hasard avec du dissolvant, des impressions de cartons, des effets obtenus en mélangeant des matières qu’on ne peut mélanger (de l’huile avec de la gouache ou de l’acrylique, qui commençait à apparaître sur le marché), des frottages, des raclages, des vernis, des monotypes, des superpositions d’images transparentes, des techniques empruntées à l’eau forte (en raclant des vernis), des premières matières épaisses, des premières terres. « …
Antoni Tapiès, « Mémoire, autobiographie », éditions Galilée, 1981, pp.313-315. Images, en home page, portrait d’Antoni Tapiès, ci-dessus, une oeuvre d’Antoni Tapiès qui sera présentée au stand de la galerie Lelong à ARCO.( Antoni Tàpies, Principiel, 1989, Technique mixte sur toile, 250 x 300 cm, Courtesy Galerie Lelong). Et portrait de Tapiès avec Daniel Lelong, copyrighy Galerie Lelong et photos Fabrice Gibert. )