Sylvie Blocher, Luxembourg, galerie Nosbaum & Reding, en permanence
Sylvie Blocher, vidéaste française de renomée internationale, qui a présenté en 2010 une superbe rétrospective au Musée d’art contemporain de Sydney, dévoile pour la première fois au public ses dessins. Une œuvre incomparable et exigeante à découvrir absolument.
Les yeux bleus. Les cheveux sombres. Sylvie Blocher noie de son regard si bleu l’âme de son interlocuteur. Et c’est peut-être là que réside tout le secret de son œuvre superbe, monumentale, si forte et si fragile. Dans son regard qui la porte et l’anime. Dans cette manière, non de s’approprier l’autre mais de l’apprivoiser. Très vite. Elle se livre pour que l’autre s’offre. Comme dans un jeu extrême du don de soi. Total. Inouï. Unique. Un jeu dont personne ne sort indemne. Ni elle. Ni l’autre. Pour abolir enfin les frontières. « No limit », inscrit Barthélémy Toguo dans une de ses œuvres, placée juste à côté des dessins de la vidéaste sur les cimaises de la galerie. Il pourrait être aussi le « cri » de Sylvie Blocher. Car chacun d’eux cherche à sa manière l’absolue liberté. « Leur » liberté.
Lire donc des yeux et des lèvres les dessins de Sylvie Blocher, qu’elle ose enfin montrer pour la première fois depuis trente ans, c’est faire face à une œuvre nécessaire. Exigeante. Vitale. Car l’artiste qui a longtemps réalisé ses « Pratiques quotidiennes pour rendre la vie présentable », considérait cette activité comme « hygiénique ». Du côté de l’intime. Du secret. De l’innommable peut-être. Son geste qui n’a pas connu les cours de dessin d’une école des Beaux-Arts, n’a jamais de remord, ne revient jamais sur le trait, ne gomme jamais. Car avant leur réalisation, il y a l’immense tension qui tout à coup lâche la main. Dessin exercice, exorcisme, catharsis qui n’était pas destiné au visiteur.
Ici, donc, sur des publicités arrachées dans des magazines pour enfants, elle écrit directement avec la gouache des phrases qui induisent le malaise, qui entr’ouvrent la faille, « j’ai l’air veille », «la vie c’est long », « je suis pas prête». Une écriture brutale noire sur des images si lisses pour dire comme « il est difficile d’être un enfant », dit Sylvie Blocher. Elle, qui, à seulement 17 ans, au chevet de sa mère mourante, lui avoue désirer devenir « artiste ». L’art devient donc sa bouée de sauvetage dans un univers hostile où elle s’attaque désormais à l’autoritarisme sous toutes ses formes. En 1991, Sylvie Blocher se lance dans ses « Living pictures » et se met en errance. Elle parcourt le monde et n’utilise plus que la vidéo. « Pour rendre la parole aux images », confie t-elle. Obsédée par l’altérité, elle partage désormais son autorité d’artiste avec le modèle qui répond à ses questions jusqu’à ce que l’une d’entre elle provoque le déclic, le trouble, la réponse incroyable, la parole libérée. Et sur les cimaises à Drawing Now, Sylvie Blocher ose enfin dévoiler au visiteur « sa » voix, « après avoir écouter les autres parler » : « c’est tout à coup moi qui me donne le droit d’avoir un visage », explique t-elle. Et en regardant ces oeuvres, pourtant si petites par rapport à ses vidéos démesurées, le visiteur ne sort pas du salon indemne. Anne Kerner.
Galerie Nosbaum & Reding, 4, r. Wiltheim, 2733 Luxembourg, (+352) 26 19 05 56. Une grande exposition sera consacrée à l’artiste à la galerie en mars 2013.
Voir un autre article sur Barthélémy Toguo consacré à la galerie