Annette Messager, galerie Marian Goodman, Paris, du 09.12.2016 au 14.01.2017
Etre femme. telle est la question de l’exposition à la galerie Marian Goodman.
Marian Goodman donne carte blanche à Annette Messager pour inaugurer son nouvel espace 66 rue du Temple. A partir du 24 janvier 2017 ce dernier deviendra la Librairie Marian Goodman, associant la librairie proprement dite à un espace d’exposition.
Cette exposition fait l’objet d’un catalogue Annette Messager. À mon seul désir comprenant des illustrations, un texte de Dominique Viéville ainsi qu’ un poème de l’artiste.
« À mon seul désir » est le titre qu’Annette Messager a choisi pour son exposition qui rassemble un corpus de nouveaux dessins à l’acrylique façon lavis, de petites sculptures – certaines en tissus, d’autres recouvertes de peinture noire texturée – , d’œuvres sur toile (Mes Reliques, 1984-86) ainsi que plusieurs Albums-collections de la série Annette Messager truqueuse de 1974 contenant des photographies noir et blanc.
En s’appropriant la formule « À mon seul désir », Messager nous replonge dans l’énigme posée par le phylactère qui orne la sixième tapisserie de La Dame à la Licorne(1). Cet énoncé a suscité nombreuses interrogations sans que son mystère ait jamais pu être percé ; il demeure comme une résistance, une rétention à l’endroit du désir des femmes et de son expression. Soit parce qu’il est tu, soit parce qu’il est inaudible.
Avec ses dessins d’utérus extravertis, de seins triomphants et ses sculptures faites d’assemblages audacieux, Messager semble livrer un élément de réponse : ce désir ne serait-il pas précisément celui de pouvoir se manifester, c’est à dire s’affirmer et se donner à voir ? (cf. À mon désir ; Ma force, ma liberté ; Ma volonté, mon désir ; Mes désirs, ma force ; La Mer de seins, 2016).
La tournure « À mon seul désir » couplée aux textes explicites insérés dans certains dessins revêtent alors des airs de manifeste posant comme principe la fierté d’être femme, la liberté de créer, de montrer mais aussi celle de choisir et d’agir selon mon bon plaisir, aurait pu dire Messager. En témoignent les travaux intitulés 344 Salopes(2 ); Je suis mon propre prophète ; Ne me soumet ; Mon corps, mes seins ; No God in my Vagina ; Mon Plaisir, 2016 ; etc.
L’artiste pare ainsi ses dessins au style librement anatomique ou figuratif de couleurs contrastées et vibrantes : des tons roses pâles explosent jusqu’au rouge vif et tranchent avec des gris se durcissant dans les noirs. Des pointes de bleu et de mauve viennent délicatement surprendre cette palette bicolore et donnent aux utérus l’allure de bouquets de fleurs. Les couleurs swinguent et le trait est rieur et assuré.
Dans ses sculptures, Messager crée des rapprochements tout aussi libres : un chausson de danse garni d’un buste de Christ miniature affublé de jambes de poupée Barbie ; un masque surmonté d’un escarpin vernis ou encore deux gorilles suspendus à un crochet de boucher et chevauchant une sculpture miniature de Rodin. Comme un rappel, elle les a mêlées avec Reine de la nuit une des pièces de sa série reine en matière d’hybridité : Chimère (1982-1983). Ce nouvel ensemble d’œuvres en volume auquel s’ajoutent La Vie debout et Sainte Agathe (2016) s’affilient aussi au goût prononcé de Messager pour la fragmentation des corps et le panachage, visibles dans de nombreux travaux antérieurs comme les séries Mes Vœux (1988-2016), Mes Trophées (1988-2016), Lignes de la main (1987), En balance (2015), entre autres.
Les seins et les utérus dessinés isolément deviennent ici des haikus, des blasons, odes à la féminité célébrée sous forme de concentrés percutants et à laquelle est rendue une visibilité. Mais cette fois-ci, Messager pousse le morcellement et la dislocation jusqu’à l’éclatement (cf. Mon utérus éclate, 2016), d’où jaillissent flux, jets et taches (Mon Plaisir ; Tache prophète ; Mon Ketchup ; Bloody Mary ; Mes Lunes ; etc.) qui marquent un affranchissement radical vis-à-vis de la forme en un acte créateur joyeusement libérateur.
Annette Messager articule ce voyage intérieur au cœur de la féminité avec ce qu’il peut avoir de dérangeant, voire de tabou, en effet, comme l’indique le titre d’un des dessins, l’intimité corporelle féminine reste «Mes Affaires »(2016). Toutefois, cet adjectif possessif récurent dans les titres de Messager renvoie à l’ensemble des personnalités fictives qu’elle a pu s’inventer depuis Annette Messager collectionneuse, (1971), truqueuse (1975), artiste (1976-80), colporteuse (1982-84), etc. Ce même possessif, ouvert à l’appropriation, n’occulte aucunement la résonnance de ces derniers travaux avec des questions sociétales actuelles comme en témoigne la référence onmiprésente aux Femen en action.
Enfin, cette exposition permet aussi d’observer le fil rouge d’une œuvre qui se déploie depuis des décennies avec la même puissance, qu’elle passe par la simplicité du trait de couleur sur le papier ou par l’opulence d’installations spectaculaires. On reconnait également la constance de l’ironie et de l’humour que Messager a l’élégance d’observer alors que le sujet dont elle traite – le corps des femmes – demeure un enjeu qui appelle la plus grande vigilence ; mais profitons-en, ici, les utérus s’éclatent et fleurissent !
Annette Messager est née à Berk-sur-Mer en 1943. Elle vit et travaille à Malakoff. Elle est lauréate 2016 du Praemium Imperiale dans la catégorie sculpture pour l’ensemble de son œuvre. Elle a également reçu le Lion d’or pour la meilleure participation nationale à la 51e Biennale de Venise en 2005. Ses œuvres font partie des collections des plus grands musées internationaux : MoMa et Solomon R. Guggenheim Museum, New York ; Musée national d’art moderne/Centre Pompidou, Paris ; Tate Modern, Londres ; LACMA, Los Angeles ; K21, Düsseldorf; The National Gallery, Canberra ; le San Francisco Museum of Modern Art ; le Musée d’art moderne de la Ville de Paris, entre autres.
En 2017, son travail sera présenté à la Villa Medicis et à la Galerie Marian Goodman à Londres. Le travail de Messager vient d’être montré au Musée des Beaux-Arts et à la Cité de la Dentelle et de la Mode à Calais. En 2014, elle a présenté deux importantes expositions au Museum of Contemporary Art MCA à Sydney et au K21 à Düsseldorf. En 2011, c’est le Museo de Arte Contemporáneo de Monterrey (MARCO) au Mexique qui a mis son travail à l’honneur. Auparavant, on a pu voir des expositions monographiques de l’œuvre d’Annette Messager à la Hayward Gallery à Londres (2008), au Espoo Museum of Modern Art (EMMA) à Espoo, au National Museum of Contemporary Art, Séoul, au Mori Art Museum à Tokyo; en 2007, le Centre Pompidou a organisé une importante exposition rétrospective.
- La tapisserie dite de La Dame à la licorne est composée de six pièces et date du début du XVIe siècle. Elle est conservée au Musée de Cluny à Paris.
- Une allusion directe au manifeste des 343, pétition française parue le 5 avril 1971 dans le no334 du magazine Le Nouvel Observateur.
Annette Messager, A mon seul désir
Librairie Marian Goodman, Paris.
Du 09.12.2016 au 14.01.2017