SPECIAL BRUXELLES. Dans l’atelier de Rachel Labastie et Nicolas Delprat
Ouvretesyeux, en compagnie de Barbara Polla, a rencontré Rachel Labastie et Nicolas Delprat dans leur atelier de Bruxelles. Deux artistes témoins de leur temps.
Nicolas Delprat et Rachel Labastie nous ont reçu dans leur atelier de Bruxelles. Ils y ont chacun leur place, lui, la peinture dans la première pièce à l’entrée, elle, la sculpture dans la pièce du fond. Ils travaillent ensemble, échangent, participent, découvrent émerveillés chacun ll’oeuvre de l’autre.
Des mains de Rachel Labastie naissent des oeuvres d’une profondeur rigoureuse. Innouïe. Rare. Née du feu, ses terres cuites, ses grès, ses céramiques, ses porcelaines emmènent dans un univers unique, délicat, sensuel, tellement sensuel, oui, et d’une force grandiose. Car c’est toute la rumeur de l’univers qui sourd dans ses entraves, ses gigantesques chaines de porcelaine, ses haches plantées dans les murs… Ce bruissement grave et existentiel qui parle du monde. Le sien et celui des autres. Le sien, si exigeant et fragile, gracile, et celui des autres, si dur, excessif, violent, criminel, douloureux. Si douloureux. De cet état de vie, de mort, de plaies, de déchirures, de flammes, Rachel Labastie livre des oeuvres étranges et ambiguës. Opposition ou disfonctionnement ? Les mains douces de l’artiste, dans la lenteur, le temps essentiel qui permet d’acceuillir l’exigence, la patience et l’accomplissement de l’oeuvre, l’étreinte amoureuse avec la matière qui lui donne ses pouvoirs, libèrent, dans la beauté, la souffrance de l’Etre. Sans bruit, elle crie. Et palpe et caresse, lutte aussi, encore et encore avec le matériau pour mieux penser les maux de notre planète.
Nicolas Delprat partage une même exigence. Ses peintures minimalistes donnent à voir dans ses dernières séries des grillages. Où dominent les ténèbres ? Où naît la lumière ? L’artiste jette toute sa force dans ses oeuvres immenses où la lueur de l’espoir est là. Si fébrile, fragile, ténue. Là, à la limite de l’effondrement. Etre devant, derrière le grillage ? De quel côté jouit-on de la liberté ? De la peine ? La main, le bras, le geste, le corps tout entier dans un feu physique et mental se fondent dans l’obscur pour éliminer tout ce qui n’est pas nécéssaire. Dans les bleus nuits et les pourpres, restent les murmures des hommes. Ceux de tous les malmenés, les déracinés, les maudits, les égarés. « Nous ne sommes pas les derniers », criait Zoran Music dans sa série sortie droit de son enfer à Dachau et jetée sur la toile.
Rachel Labastie et Nicolas Delprat, travaillent ensemble. Leurs deux oeuvres ne se ressemblent pas. Bien au contraire. Peut-être justement pour mieux se compléter. Elle sculpteur. Lui peintre. Mais tous les deux, savent la puissance de la mort et la soif de vivre, et dans leurs oeuvres solaires, nous rappellent plus intensément que jamais que nous ne serons jamais les derniers. Anne Kerner.
Rachel Labastie est née en 1978 à Bayonne, France. Elle vit et travaille entre Bruxelles et Paris. Diplômée de l’Ecole des Beaux-Arts de Lyon en 2003. Manipulant les paradoxes, jouant sur l’ambiguïté de formes à la fois séduisantes et dérangeantes, Rachel Labastie pose un regard critique sur les modes d’aliénation physique et mentale produits par une société toujours plus encline à contrôler les corps et les esprits. Dans un permanent jeu de forces contraires, elle nous invite à voir au-delà de l’apparence des choses.
Son rapport à la matière est à la fois intime et puissant, conceptuel et physique, contemporain et ancré dans les pratiques séculaires de la terre crue et cuite. Alors qu’elle choisit des objets relevant du registre de la violence comme des haches ou des entraves, elle n’exalte aucunement une activité pulsionnelle. Bien au contraire, elle réalise ses pièces avec beaucoup de minutie, un labeur patient. Ses sculptures se situent à égale distance de l’intimité et de l’universalité, servant tout à la fois d’illustrations, de contrepoids et de remèdes à la destinée humaine, sur un mode d’être tenant de l’inventaire (ce qui est), de l’enchantement (ce qui exalte), de la thérapie (ce qui sauve).
Rachel Labastie poursuit depuis 2008 une série d’exposition personnelles « De l’apparence des choses ». Elle participe également à des expositions collectives : En 2015, Ceramix – Ceramic art from Gauguin to Schütte au Bonnefantenmuseum (Maastricht, Pays bas) puis en 2016 à la Maison rouge à Paris, en 2013, La révolte et l’ennui, FRAC auvergne, en 2011 Céramiques d’artistes depuis Picasso / Espace Doual ’art / Douala, Cameroun et en 2010 Circuit céramique, Musée des arts décoratifs de la ville de Paris.
Né en 1972 à Rennes, Nicolas Delprat vit et travaille à Bruxelles. Il est représenté par la galerie Odile Ouizeman, Paris. Il est diplômé en 1997 de l’école Nationale Supérieure des Beaux arts de Lyon. En 1998 il suit un post-diplôme international à Nantes, France.
La peinture de Nicolas Delprat ouvre un champ de réflexion sur la valeur de la lumière dans la peinture contemporaine. Elle est peuplée de paysages énigmatiques qu’une lumière à la fois sourde et éblouissante vient animer de reflets, de détails
et d’indices. L’artiste s’inspire de scènes cinématographiques qu’il reconstitue de mémoire. Nous nous trouvons au bord d’une route, dans une voiture, près d’une frontière. Les grillages, les lumières des phares d’une voiture, le ciel nuageux, nous amènent vers des notions comme l’errance, la perdition, le voyage, le danger. Si la figure humaine est absente du cadre, elle existe dans la trame narrative que le spectateur déroule au fil des toiles.
Ses oeuvres sont les collections publiques du Fonds National d’Art Contemporain et du FRAC Auvergne qui lui a consacré une exposition monographique en 2008.