Jean Deswane, Paris, galerie Nathalie Obadia, du 12/09 au 31/10/13
La galerie Obadia célèbre Jean Deswane, grand artiste français du XXème siècle qui occupa l’atelier où a lieu l’exposition pendant près de 20 ans jusqu’à son décès en 1999. À cette occasion, une sélection d’Antisculptures encore jamais montrées en galerie seront exposées pour la première fois au public.
Né en 1921 à Lille, Jean Dewasne s’engage très tôt dans l’Abstraction et participe en 1946 à la création duSalon des Réalités Nouvelles dont il sera le premier lauréat du Prix Kandinsky avec Jean Deyrolle. Il en démissionnera en 1949 puis participera au développement de l’art d’avant-garde en co-fondant avec Edgar Pillet en 1950 l’ Atelier d’Art Abstrait à Montparnasse qui polarisa l’attention des artistes et intellectuels au sortir de la guerre et qui bénéficia très vite d’un rayonnement international. Sa première rétrospective a lieu à la Kunsthalle de Berne en 1966. Ses recherches font également l’objet d’une reconnaissance active en France qui le mènent à participer au pavillon national de la Biennale de Venise en 1968 avec Arman, Piotr Kowalski et Nicolas Schoffer. Il participe ensuite en 1972 à la célèbre exposition Douze ans d’Art Contemporain en France et conçoit la couleur bleue du Centre Pompidou (qu’il désignera ensuite comme sa plus grande Antisculpture). Il sera élu en 1991 membre de l’Académie des Beaux-Arts au fauteuil de Hans Hartung.
Attiré par les méthodes et les mediums de production industrielle, Jean Dewasne va en tirer des lignes de forces rigoureuses et extrêmement précises pour sa pratique artistique, qui ira toujours de pair avec un engagement théorique et un système de réflexion conscient. Il a laissé de nombreux écrits témoignant de son vif intérêt pour la philosophie ou les mathématiques (en particulier pour les espaces topologiques), en sus de ses compétences formatrices dans les domaines de l’architecture, des beaux-arts ou de la musique.
Le terme Antisculptures désigne les oeuvres de Jean Dewasne combinant la pratique de la peinture et de la sculpture, élaborées à partir de l’application d’un système qui favorise les aplats sur des carrosseries, supports inusables par excellence (chassis de voitures ou de camions). Sont au cœur de ses préoccupations esthétiques : la technicité industrielle de la peinture et des supports (peinture glycérophtalique, Ripolin, laques, émail à froid, Isorel, surfaces métalliques), la manipulation des espaces colorés pré-définis pour trouver l’agencement complexe où la couleur atteindra son point paroxystique, la primeur de l’utilisation du procédé de peinture au pistolet, la non-planéité des ces squelettes manufacturés qu’il désosse et l’expérimentation du détournement d’objet. La Galerie Nathalie Obadia présente quatre Tableaux, trois Antisculptures (Cerveaux-mâles), et deux Ronde-Bosses (Antisculpturesmurales, également appelées Capots). À ce jour, 11 Antisculptures de Jean Dewasne sont présentes dans les collections publiques françaises.
Fort de cet intérêt pour le monde industriel, Jean Dewasne s’est également attaché à produire de oeuvres de très grands formats, travaillant à la diffusion de la couleur dans les environnements urbains en collaboration avec des commanditaires français et internationaux (Les Murales de la Grande Arche de La Défense font près de 15.000 mètres carrés, deux oeuvres de 110 mètres de long pour le métro de Hanovre, ou quatre oeuvres murales de 10 mètres de long pour Renault, par exemple). À travers ces signes architecturaux, Jean Dewasne a contribué à redéfinir la place du projet artistique local dans la cité et dans la ville.
À sa mort, son oeuvre et ses archives ont fait l’objet d’une très généreuse donation au profit des Musées de France, qui a été repartie dans de nombreuses institutions publiques (Centre Pompidou, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, MAC/VAL) et notamment dans les musées de la région Nord, d’où l’artiste était originaire (Musée Matisse – Le Cateau-Cambrésis, Musée des Beaux-Arts de Cambrai, LAAC de Dunkerque). Digne représentant de l’un des courants majeurs du XXème siècle, l’Abstraction géométrique, Jean Dewasne propose ici une oeuvre qui a contribué à l’évolution de cet art alors nouveau et dont la puissante modernité couplée à la contemporanéité de sa pratique, sont encore aujourd’hui éloquentes.
INSTITUT DE FRANCE
ACADEMIE DES BEAUX-ARTS
NOTICE SUR LA VIE ET TRAVAUX DE
M. Jean DEWASNE
(1921-1999)
par
M. Yves MILLECAMPS
lue à l’occasion de son installation comme membre de la Section Peinture
« Il est confié au nouvel élu, selon la tradition, le soin d’évoquer le souvenir, la carrière et l’œuvre de son prédécesseur. J’espère, Madame, trouver les termes et les mots que vous-même, votre famille et les amis de votre mari présents sous la Coupole attendez de moi. Je sais pouvoir compter sur votre indulgence et espère que vous pardonnerez mes éventuelles omissions.
Je mesure la chance qui m’est donnée, de devoir faire l’éloge de quelqu’un que je n’ai certes pas connu mais dont j’ai toujours admiré, non seulement l’œuvre peint mais aussi les propos au travers des émissions radiophoniques de France Culture, conçues par Pierre Descargues, ici présent.Il ne doit pas toujours être facile, je n’ose dire agréable, de faire l’apologie d’un artiste dont on n’estime que modérément le travail.Ce n’est pas mon cas, au contraire, et j’apprécie infiniment cette heureuse synchronie.Je ne puis cependant m’empêcher d’évoquer quelques coïncidences, certes anodines, sinon insignifiantes mais qui, accumulées, finissent par former un étrange faisceau.
La première : depuis plus de vingt ans, dans mon atelier du Lot, je n’ai qu’une seule reproduction de peinture contemporaine : c’est un Dewasne. Et je me suis laissé dire par un ami que Jean Dewasne possédait sur sa table de travail la reproduction d’une de mes œuvres dont il aurait eu la bonté de dire du bien.
La seconde : nous sommes nés à 15 km de distance.
La troisième : comme l’a rappelé mon confrère Poncet, il y a 31 ans, un magazine de Nord consacrait une page à trois peintres « constructivistes » originaires de la région : Dewasne, Lempereur-Haut, et moi-même.
Et enfin, je lui succède aujourd’hui.
Y-a-t-il là, ou non, des signes ? J’ose l’espérer et veux croire qu’il aurait éprouvé une certaine satisfaction à voir son fauteuil occupé par un artiste qui le situait si haut.
Le temps qui m’est imparti ne me permet évidemment pas de recenser tous les travaux de Jean Dewasne, et c’est tout à fait volontairement que j’insisterai dans cet exposé sur l’origine, la genèse de sa carrière, et ne citerai que les étapes les plus importantes de son parcours, laissant aux historiens le soin de décrire plus tard dans le détail, la chronologie de son œuvre aussi spécifique qu’imposante. Si Jean Dewasne s’est désormais éloigné de nous, sa peinture, sciemment projetée dans l’échelon du futur, vit maintenant par sa seule beauté. Vous le vérifierez en admirant ce tableau de 1970 intitulé Pôle dont j’ai tenu à ce qu’il accompagne un si beau moment de ma propre carrière.
Né le 21 mai 1921 à Hellemmes-les-Lille, Jean Dewasne avait été reçu à l’Institut en 1994. S’il fallait d’un mot résumer la position de cet artiste face aux mystères de la création, je m’en tiendrais à cette admirable formule qu’il aimait délivrer : « La véritable création façonne plutôt des étonnements que des évidences »
La production de Jean Dewasne est jalonnée de nombreux chefs-d’œuvres figurant d’ores et déjà au chapitre des œuvres-phares de la seconde moitié du XXème siècle : Apothéose de Marat (1951), Tombeau de Webern (1952), La Longue Marche (1968), Habitacle rouge (1972), Jet-Underground (métro de Hanovre, 1975). Et peut-être est-il au sommet de son art avec les Quatre Murales de la Grande Arche de la Défense en 1985, esquisse, bien avant l’échéance, de la geste artistique du millénaire futur par leur monumentalité visionnaire. Aujourd’hui qu’elle offre tout son déroulement à notre mémoire, la carrière de Jean Dewasne semble ne s’être accomplie que sous le signe d’une interrogation fondamentale et persistante : « Comment faire évoluer l’art abstrait ? ».
Dès le moment où il a choisi d’exclure la figuration de son œuvre (en 1942, soit à l’âge de 21 ans), l’artiste a travaillé en fonction de cette exigence.Non seulement, toute son énergie de créateur s’est mise au service de ce grand dessein, mais aussi voit-on ce peintre lucide faire de la lutte contre le réalisme le point de ralliement de toutes ses intuitions et de tous ses savoirs.
Après avoir fait des études musicales très poussées, il entre à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris et suit pendant deux ans les cours d’architecture, tout en ayant le désir secret de se consacrer à la peinture.Très tôt, Dewasne a estimé que la musique du XXème siècle avait pris une avance considérable, peut-être décisive, sur les expressions plastiques, par son irréductible autonomie. La musique du XXème siècle n’offre pas un nouveau visage du monde ; elle rend compte des nouvelles formes de sa perception, changement favorisé par son « essence abstraite ». Elle s’empare, pour s’en nourrir, de toutes les évolutions et transformations de l’univers sensible et en traduit la complexité, analogiquement, par la sienne. C’est justement ce qui fascine le jeune Dewasne, lui-même engagé dans la grande tâche, exaltante mais pleine de risques majeurs surtout vis-à-vis de la critique, de créer un langage plastique neuf, dont la complexité doit être en étroite corrélation avec celle du monde nouveau, du monde en gestation.
La peinture nouvelle doit refuser toutes ses propres hiérarchies, à commencer par celles qui sont induites par la représentation. Pour s’associer aux mutations de cet univers mouvant qu’est la société industrielle, elle ne peut fonder son esthétique que sur une abstraction radicale.
Désormais sûr de son tracé, Dewasne se tourne alors vers les fastes de la palette sans plus en craindre les faciles effets d’analogie et d’équivalence chromatiques avec l’univers. Aussi voit-on rapidement ses formes colorées se libérer de toute attache avec le passé pour jaillir comme les fusées d’un feu inépuisablement inventif. Avec ce bel enthousiasme qui anime les jeunes gens persuadés d’avoir à réinventer le monde, il multiplie les tableaux non figuratifs dès 1943 (il n’a que 22ans), évacuant toute trace de naturalisme lors même (il aimait à rappeler cette particularité troublante) qu’il ignorait encore à peu près tout de l’abstraction radicale des pays de l’Est et du Nord de l’Europe.
Comme l’a écrit, en 1953, avec la lucidité prophétique et l’humour toujours sous-jacent qui le caractérisent, Pierre Descargues, ici présent : « Dewasne ne compose pas ses tableaux au clair de lune dans les brouillards de l’alcool et des cigarettes. Et pour cause : Dewasne est sobre et ne fume pas et s’il ne se prend pas pour un ascète (une chance), c’est parce que la simplicité de sa vie et de son art est naturelle ».
Et plus loin, il ajoute « la peinture abstraite commence comme une fuite, comme une méfiance envers le monde et soi-même. Songez qu’il faut perdre l’habitude de l’ombre et de la lumière, perdre les formes des arbres, d’un corps, oublier les rues, les étages des maisons, les nuages.
La joie d’accorder deux formes belles et parfaitement abstraites se paye d’un terrible massacre d’habitudes ».
J’ajouterai à cette analyse pertinente, que c’est littéralement accepter, non seulement de perdre, mais de détruire volontairement tous les appuis et références dont « l’éducation classique » vous a nourri et construit. Une fois encore, n’oublions pas que ce « combat » de Dewasne a commencé en 1942 et les écrits de Pierre Descargues que je viens de citer datent de 1953, c’est-à-dire au moment où la lutte abstraits-figuratifs atteint une virulence totalement inimaginable de nos jours, même si elle perdure encore. Sans parler, bien entendu, de la lutte fratricide : abstraits lyriques – abstraits géométriques.
Pour Jean Dewasne, si la photographie, le cinéma, voire la presse écrite ou orale, bientôt visuelle, peuvent rendre compte de la réalité du monde, ce ne doit plus être la préoccupation de l’art contemporain, lequel ne peut plus ignorer, sous peine de grave automutilation, les foudroyants développements des progrès des sciences et des techniques. Il est donc temps de réfléchir à ce que la peinture peut donner à voir, qui n’est pas susceptible d’être révélé par les autres moyens d’expression de la civilisation.
Il reçoit, en 1945, des mains de Madame Kandinsky, le Prix Kandinsky, peintre dont il avait découvert les œuvres pour la première fois, après la libération, dans un catalogue du Musée Guggenheim, époque où il rencontre également Hartung, de Staël, Poliakoff, Deyrolle, Schneider, tous devenus abstraits. Indésirables dans les salons classiques, ils fondent leur propre salon consacré à l’art abstrait : ce sera le Salon des Réalités Nouvelles.
C’est en 1949 que Jean Dewasne entreprend la rédaction de son Traité d’une peinture plane, dont la publication ne sera, hélas, que tardive et partielle, la faiblesse des moyens dont il disposait à l’époque n’étant pas à la hauteur de ses ambitions. Son premier objectif étant d’organiser une palette assurant à toutes les nuances une intensité maximale, il rêve alors d’un matériau lui permettant l’application de très larges aplats de couleurs pures dont la plénitude ne serait en rien altérée par la trame de la toile, même dissimulée par des couches d’apprêt. C’est ainsi qu’il choisit très tôt de renoncer définitivement à ce support traditionnel et de le remplacer par une surface métallique.
Précocement passé du statut d’artiste réputé à celui de théoricien célèbre, Dewasne fonde en 1950, avec Edgar Pillet, secrétaire général de la revue Art d’Aujourd’hui, le très ambitieux Atelier d’Art Abstrait, rue de la Grande Chaumière, et y donne des cours sur la nouvelle esthétique et des cours de technologie de la peinture. Ensemble, ils formèrent un grand nombre d’artistes et intellectuels venus du monde entier, principalement d’Amérique latine et des pays scandinaves. C’est lors de ces cours que Jean Dewasne rencontre un jeune étudiant, Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin, Daniel Cordier, qui devait par la suite ouvrir une galerie d’art contemporain, d’abord rue Duras, puis rue de Miromesnil.
C’est dans cette dernière, en 1963, que je découvris, enthousiaste, admiratif, l’œuvre de Jean Dewasne. Ce fut pour moi un choc extraordinaire, une révélation dont le souvenir reste radieusement marqué dans ma mémoire. Je rappelle très brièvement l’itinéraire étonnant et remarquable de Daniel Cordier. Il exposa dans ses galeries tout ce que l’art contemporain pouvait avoir de meilleur, puis fit don de son importante collection au Centre Pompidou, pour se consacrer à la rédaction de ses mémoires, afin de rendre justice à Jean Moulin et à ses activités, dont il fut, de par sa fonction, le témoin privilégié.
Il est significatif que l’un des premiers chefs-d’œuvre des années de jeunesse de Dewasne, le Tombeau de Webern (1952) rende hommage, un an après la mort d’Arnold Schoenberg, à ce maître si discret de l’Ecole de Vienne. La rigueur formaliste du peintre fait merveille dans cette » antisculpture » qui propose la transformation d’un châssis de voiture en vigoureuse peinture.
C’est en 1951, selon le propre témoignage de Jean Dewasne, que le hasard lui a fait découvrir, dans un terrain vague situé à Suresnes, la partie arrière d’une voiture de course ancienne appelée à supporter le Tombeau de Webern et qu’il acheta aussitôt pour 3.000 francs. Le choix du terme » antisculpture » ne laisse place à aucune équivoque. Bien que volumétriques, ces œuvres sont des tableaux aux plans complexes, et non pas des sculptures qui cultiveraient, par essence, l’effet de profondeur. Certes, il reste un lien avec la ronde-bosse, la possibilité pour le spectateur d’en » faire le tour « , donc de découvrir l’œuvre, selon un nombre de points de vue infini, d’autant plus que les couleurs multiplient encore les hypothèses de découverte. Le peintre veillera donc, comme le sculpteur, à ne laisser aucun angle de vision dépourvu de validité.
Durant les années 1953-1955, il visitera l’Amérique du Sud et donnera une série de conférences, en particulier au Vénézuéla, en Colombie et au Pérou. En 1954, Jean Dewasne épouse une jeune cinéaste et plasticienne tchécoslovaque, fille de Milos Kolesar, écrivain.C’est aussi l’année où il rompt avec la galerie Denise René. Il y avait exposé, dès le début de son ouverture, avec Hartung, Schneider, Deyrolle et Marie Raymond. Il est aussi de plus en plus hanté par les grands formats, estimant que « la couleur, elle aussi, a droit à la liberté ». On peut s’étonner de ce type d’obsession, mais c’était sa nature.
En 1966 a lieu la première rétrospective de ses œuvres à la Kunsthalle de Berne et en 1967, il reçoit une commande officielle pour le stade de glace de Grenoble, en prévision des jeux olympiques d’hiver. Trois ans plus tard, M. Besset, directeur de la bibliothèque attenante au musée lui commande un « environnement » de 1 200 mètres carrés, occasion pour Dewasne d’exprimer pleinement son talent.
Il représente la France à la Biennale de Venise en 1968. Cette même année, à Lille, ayant à donner vie aux bâtiments universitaires, alors en état précaire, il n’hésite pas à user de ce qu’il appelle la métaphore musicale pour les articulations rythmiques, proposant de façon réfléchie des accélérations, ralentissements et pauses que l’on ressent presque physiquement devant ces grandes surfaces. La Longue Marche, titre qu’il a donné à cette réalisation, n’est pas seulement l’une des œuvres les plus connues de Jean Dewasne, voire la plus emblématique de l’engagement politique de nombreux intellectuels qui, vers la fin des années 60, viennent de découvrir le « Petit livre rouge », et s’enthousiasment pour les aventures et la pensée du « Grand Timonier ». Dans son gigantisme (2 fois 100 mètres), c’est aussi son ensemble le plus explicitement gouverné, en partie, par des préoccupations d’ordre musical.
En 1972, il créé Habitacle Rouge, œuvre tridimensionnelle, toujours de vastes dimensions. Au plus intime de la pensée de Dewasne, le désir de transmettre des sentiments de joie et de plaisir est primordial. C’est d’ailleurs dans cet esprit qu’il a abordé l’une des réalisations comptant parmi celles qui lui restèrent les plus chères, Jet Underground (principale station du métro de Hanovre). D’une taille considérable (deux fois 8m x 110m), cette immense peinture murale donne à la station la plus fréquentée du réseau métropolitain de la grande ville, un caractère d’autant plus insolite avec ses couleurs éclatantes et ses formes dynamiques que l’environnement n’y prépare guère.
En 1983, La Poste édite un timbre d’après la maquette Aurore et organise une exposition des œuvres monumentales de Dewasne dans la galerie Messager à Paris. Pour sa Grande Arche de la Défense, monument de la Fraternité, l’architecte danois Otto von Sprekelsen fait appel à lui pour réaliser « la plus grande peinture murale jamais réalisée au monde », quatre gigantesques panneaux de 100m de hauteur sur une largeur de 70m. Mis en chantier dès 1985, ils seront inaugurés en 1989.
La partie Sud du grand monument en abrite deux, qui traversent l’immensité verticale des 34 étages, les illuminant de leur ineffable beauté. Hélas, pour des raisons d’ordre commercial, les deux murales de la partie Nord n’ont pas été mises en place. En compensation, l’architecte de réalisation, Paul Andreu, exigera que les deux halls d’entrée reçoivent quatre murales de Dewasne qui se développent sur quelques 80m de largeur. Ces dernières ont été réalisées sur de doubles panneaux d’acier leur assurant une solidité infinie. C’est là le couronnement de l’œuvre de Dewasne et celui d’une carrière bien remplie.
On ne saurait clore cette réflexion sur le grand format chez Dewasne sans rappeler que son drame fut de rencontrer trop peu d’architectes décidés, surtout en France, à travailler avec lui et à lui proposer les immenses surfaces qui enflammèrent, tardivement encore, son imagination. Il décéda le 24 juillet 1999.
Je voudrais citer G. Denizeau, écrivain, historien d’art, le plus grand connaisseur avec Pierre Descargues de l’œuvre de Dewasne qu’il a beaucoup fréquenté à la fin de sa vie.Voici ce qu’il écrit :
» En dépit du purgatoire qu’elle traverse depuis une vingtaine d’années, personne ne songe sérieusement à contester l’importance historique et l’originalité esthétique de la peinture de Jean Dewasne.
L’artiste a pris toute sa place au cœur des considérables mutations de son temps, mutations artistiques certes, mais qui illustrent avant tout celles de la société, voire de la civilisation.
Refusant tout à la fois la dictature du matériau objectif et du créateur subjectif, le peintre ne dissocie pas la réflexion esthétique de l’appel à la conscience.
Maître de ses pensées et de ses méthodes, il s’applique, dans son champ, à refléter les caractères de la civilisation contemporaine, en usant de couleurs et de formes aussi inédites que le monde qui les voit naître, au nom d’une exigence supérieure et inflexible certes, mais d’une exigence joyeuse et optimiste et aux antipodes de tout élitisme « .
Il s’est conduit en tout temps en serviteur exigeant de son art. Servir son art en servant son siècle, s’adresser aux hommes d’aujourd’hui dans la langue d’aujourd’hui, tel est le défi qu’a relevé dès l’âge de vingt ans Jean Dewasne. Plaçant sa création sous le signe de l’humanisme responsable, il a, très tôt, eu conscience de l’orienter vers ce qu’elle avait » de plus sain et de plus exaltant « . Ce faisant, il acceptait aussi de provoquer certaines froideurs officielles et certains éloignements du public.
Mais, au cœur même des moments de désarroi et d’incertitude, rien ne l’aura jamais distrait de cette admirable mission, parce que le devoir moral commande autant que le devoir artistique et que » le plus court chemin doit s’effacer devant le plus fort chemin « .
Après cette austère évocation, il me faut, mes chers confrères, vous remercier… vous remercier de m’avoir accueilli parmi vous, avec tant de cordialité et de simplicité. D’avoir donné la majorité de vos voix à un homme et à une peinture qui, avec d’autres, sollicitaient l’honneur d’une si prestigieuse reconnaissance.Vous remercier surtout de faire preuve à mon endroit, depuis cette élection, d’une si chaleureuse sympathie, infiniment heureux de ressentir, sous la luminosité magnifique de cette admirable coupole, les effets de ce que le sublime Corneille, académicien en son temps, nomma » cette obscure clarté qui tombe des étoiles ».
Mais voyez ce que c’est que solliciter les grands esprits !Corneille à peine estompé, ce sont maintenant l’ombre et le sourire du spirituel Beaumarchais qui surgissent !
Pour me rappeler que l’Académie, la Peinture, la Sculpture, l’Architecture, la Musique, la Gravure… tous ces merveilleux ornements de l’aventure humaine, ont ceci de commun, que la sagesse de notre belle langue les gouverne au féminin !
Tout comme la force, la grâce et la délicatesse qui sont pour les artistes un idéal de perpétuité. Or, voici qu’au moment de conclure, méditant sur la forte masculinité de notre assemblée – hors l’éminente comédienne qui l’illumine parfois de son sourire -, je me rappelle la réplique du sévillan Bartholo à sa nièce bien trop jolie pour lui :
» Nous ne sommes pas ici en France, Madame, où l’on donne toujours raison aux femmes « .
Eh bien, prenons gaiement acte de cette particularité nationale, veillons à ce qu’elle se vérifie ailleurs qu’au théâtre et rendons donc un ultime hommage aux Muses sans lesquelles le meilleur technicien ne devient jamais un artiste.
Et sachez enfin, mes chers confrères, que ma joie d’être parmi vous est totale.
Je vous remercie »
Jean Deswane, galerie Nathalie Obadia, 3 rue du Cloître Saint-Merri, 75004 Paris. Pour l’exposition, 18, rue du Bourg-Tibourg, Paris. www.galerie-obadia.com. Du 12/09 au 31/10/13.
(Images des oeuvres de Jean Deswane, courtesy Galerie Nathalie Obadia, Paris/Bruxelles)