Degas, Bâle, Fondation Beyeler, jusqu’au 27/01/13

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Brosser des nus à en perdre haleine, peindre des danseuses à en avoir le tourni, s’acharner sur la femme, l’explorer, la torturer, la violenter comme pour en arracher les confessions les plus secrêtes, la violer dans sa toilette, zoomer sur ses pieds, son dos, ses seins,  épier ses gestes les plus intimes. L’impossible Monsieur Degas, mysogine ? Non. Plutôt un de ces amoureux  fous et transi, idéaliste, qui préferera se sacrifier pour sa belle. A en crever. Et cela lui vaudra sa légende à la Mister Hyde. Lui qui rêvait de se marier et d’avoir des enfants. Lui qui désirait vivre un parfait petit conte de fée, comme le docteur Jekill, mourra dans son atelier de célibataire endurci, aveugle et seul. Désespérement seul. Bien sûr, il les traite d’animaux, les accable d’inépuisables sarcasmes et de son infatigable cynisme.  Mais comment faire autrement si ce n’est jouer à l’ours mal léché, quand on sent le deuxième sexe filer entre vos doigts ? De plus, lorsqu’en en 1880, vous peignez des petites femmes de Paris au nez sublimement retroussé en train de se laver les pieds, au lieu de Vénus à la Grecque aussi froides qu’antiques, ou de paysages aussi charmants qu’ennuyeux, c’est sûr, ni Monsieur le critique Huysmans, ni le grand public, vous trouvent de bon goût ! Qu’à cela ne tienne. « Il y a l’amour, il y a l’oeuvre, et on a qu’un seul coeur », soupirait le vieux génie incompris en caressant de son pinceaux la hanche d’une de ses belles.  Degas ou l’amour fou pour la femme, pour la peinture. C’est de toute façon la même chose.

Que de temps passé avant de laisser éclater sa passion. Et devenir l’anomalie du 19ème siècle. Que d’années écoulées à se perdre dans la peinture d’histoire, à fleurter avec l’antique, draguer avec le Moyen Age. Pour finalement se retirer dans le monde clos et vicié de l’atelier. Rien qu’une femme nue devant les yeux. Le petit Degas avait pourtant eu une jeunesse dorée, oisive et pleine de promesses. Tout y était. Papa banquier, enfance au Luxembourg, études de droit esquamotées. Lamothe lui avait enseigné l’amour du dessin et des maîtres italiens.  Mais à 22 ans, il brouille les pistes, lâche les Beaux-Arts, le prix de Rome et la Villa Médicis. Le voilà qui prend des allures de « Lonesome cowboy » et  s’embarque en 1856 pour l’Italie. A Naples, il est confiné dans sa famille. A Rome, il refait le monde avec Gustave Moreau. Il ne jure alors que par Ingres dont il suivra les conseils à la lettre : « Jamais d’après nature, toujours d’après le souvenir et les gravures des maîtres. Faites des lignes. Beaucoup de lignes… ». Après trois années d’une trop sérieuse « dolce vita », Degas rentre à Paris et s’installe rue Laval. Où qu’il aille, « Degas qui bougonne et Edgar qui grogne », comme l’appelle le graveur Tourny, traîne son mauvais caractère et pousse ses gueulantes.  Si peu artiste et tellement réactionnaire, même pas débauché, sa discrétion est maladive. Et il doute, de tout et surtout de lui-même.

Et vlan dans les plates bandes de l’académisme ! Dix ans avant Toulouse-Lautrec, 30 ans avant Rouault, Degas croque les filles des maisons closes, illustre des amours saphiques, et comble pour le commun des mortels, peint tout bêtement « bobone »  à sa  toilette. Les « Nana », les « Marthe », les héroïnes de « La Maison Tellier » et des romans naturalistes dégorgent de ses toiles. Filles du peuple et Madame tout le monde sont scrutées à travers le trou d’une serrure. Nues devant leur lavabo ou dans leur tub  ! Scandale, outrage, provocation. Ses contemporains ne lui pardonneront jamais.

En pleine époque des nus ô combien conventionnels ou bardés de dentelle et de soie, excusé par un quelconque sujet mythologique, on le traite d’obscène et de voyeuriste. Qu’importe. Degas les préfère « peuple ». Car « c’est dans le commun qu’est la grâce », dit-il. Et il aime regarder les filles… Qui se lavent, se sèchent méticuleusement, s’essuient langoureusement, s’enveloppent dans la moiteur d’un peignoir. Vautrées. Pâmées. « C’est la bête humaine qui s’occupe d’elle-même, une chatte qui se lèche », raconte Degas.  Le peintre a une prédilection pour la cambrure de leur dos, leurs petits petons et leur épaisse crinière qu’il aime coiffer lui-même pendant des heures. Avec les pauses animales, les contorsions imposées par la toilette, les proportions déformées par la perspective, les vues de dessus, de dessous, les accroupissements, les écartèlements disgracieux des jambes, Degas le fétichiste se délecte. Il libère ses fantasmes de vieux Monsieur  solitaire. Par l’intermédiaire de ses toiles, de dessins, inlassablement perfectionnés, il s’abandonne, il caresse,  il s’offre  spasme et jouissance. La volupté.

Certes, il y a un peu de Rembrandt dans tout çà. Beaucoup d’art japonais aussi. Un regard vers le nord et l’est qui se complètent  merveilleusement par un oeil de photographe passionné par les découvertes de Muybridge. Terriblement impressionniste parce qu’il saisit les moindres mouvances du réel, Degas n’est ni un amateur de plein-air, ni un fanatique de la couleur. Plus incroyablement et étonamment moderne, il multiplie angles imprévus, vues plongeantes, décentrements, visages coupés, profils effacés, éclairage théâtral qui monte du sol. Toutes ces inventions répondent exactement à la vision que propose aujourd’hui l’objectif. Ou comment démontrer que « l’Art, c’est le faux ».

Tourmenté par une grave maladie des yeux, Degas doit progressivement abandonner la peinture. Il tente encore une dernière fois d’appliquer le fusain avec ses doigts. Il peint ses derniers nus, ses ultimes danseuses. Mais entre 1912 et 1917, c’est le déclin.  « Degas a fait ce qu’a fait Baudelaire – il a inventé un frisson nouveau »(George Moore). Anne Kerner

Degas, Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, CH-4125 Riehen / Basel, Tel. +41 – (0)61 – 645 97. Jusqu’au 27/01/13.

Film réalisé à l’occasion de l’exposition « Degas et le nu », Musée d’Orsay. 75007 Paris. Du 13/03 au  01/07/2012. (Légendes  © RMN (Musée d’Orsay) / Hervé Lewandowski. Ouvretesyeux remercie le Musée d’Orsay pour les prises de vues.)

 
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MARIE-CLAUDE PIETRAGALLA DANSE DEGAS

Une silhouette fragile  enveloppée d’un peignoir. Tout de noire vêtue. Autour d’elle, une petite loge d’Opéra immaculée, des miroirs rouges, interminables. Beaucoup de rouge. Clin d’oeil ? Des photos de Richard Geer et d’un bon gros nounours aux murs.  Marie-Claude Pietragalla n’aime que les couleurs fortes. Son tempérament l’est aussi. Rage, puissance et délire ont faits d’elle l’étoile la plus « up to date » de Paris. Aujourd’hui, elle danse Giselle. Le ballet préféré de Degas. Mais fini tutu, pointes et romantisme nunuche.  Le béret enfoncé jusqu’aux oreilles, vêtue d’une camisole de force, projetée dans un décor de bande dessinée, la plus méditerranéenne des danseuses saute tous les obstacles.

A.K. : Vous dansez actuellement « Giselle » de Mats Ek a l’opera de paris. Est-ce que cette version moderne du ballet classique peut  choquer ?

M-C.P. : Le Giselle de Mats  Ek a plus choqué à l’époque où il a été crée… en 1982. Ce qu’il y  a de formidable dans ce ballet, c’est qu’ il a gardé l’histoire. Ca traite  de l’amour universel. Giselle, c’est une paysanne qui  ouvre ses sens … complètement… Devant la nature, devant l’amour, devant tout. Là, c’est libre. C’est vraiment la chair et le sang. Il touche donc tout le monde. Alors que le Giselle classique reste  derrière un esthétisme… C’est l’univers des esprits. Et je trouve qu’à notre époque,  on a du mal à y croire.

A.K. : Voici des photographies d’oeuvres de Degas. Pour beaucoup de gens, Degas, c’est un peu comme Giselle, c’est la danse telle qu’on se l’imagine, qu’en pensez-vous ?

M-C.P. : Oui, c’est la danse romantique, avec le tutu long, les pointes, très classique.  Regardez. Là, il y a aussi des éventails, des choses qu’il rajoute à la création… Il a un espèce de délire. Dans les couleurs aussi… Par contre, les positions sont justes… A savoir si c’est vraiment la chorégraphie de Giselle…. Surtout que le costume a l’air un peu différent. Mais  c’est vraiment la façon dont les danseuses répétaient à l’époque. Elles étaient beaucoup plus couvertes que nous…. Elles avaient des colliers, des tutus de répétition.

A.K. : Et A part la danse, qu’est ce que vous aimez ?

M-C. P. : … Plein de choses ! J’adore la musique espagnole, le flamenco. J’aime beaucoup aussi tout ce qui a  trait à l’art japonais, le kabuki, même les arts martiaux….euh… J’aime la vie en général !

A.K. : vous aimez aussi la peinture ?

M-C. P. : Ah, oui, oui, j’adore la peinture. J’ai une passion pour Picasso. Il y a un tableau qui fait partie de sa période bleue. Je suis restée une bonne après-midi devant. C’était à New York, au Guggenheim. Le tableau s’appelle « La Repasseuse ». Et je me suis toujours dit que si j’avais un tableau à acheter, ce serait celui-là. Mais bon… ( Rires ) J’adore Dali aussi.  J’adore tous ces peintres un peu fous. Je reviens de  Barcelone où  j’ai vu l’architecture de Gaudi. C’est  splendide.

A.K. : Vous êtes prête à soutenir tout ce qui est un peu fou ?

M-C. P. Ah oui. Parfois on se demande  pourquoi je reste à l’opéra de Paris ! Je suis  prise pour une marginale. Par exemple, pour le « Giselle » de Mats Ek, à la première distribution, j’étais seule avec deux premiers danseurs. Beaucoup d’étoiles n’ont pas pris le risque. C’est dommage.

A.K.  : Justement, Comme Vous fâites beaucoup de danse contemporaine, n’avez-vous pas de mal a faire des ballets plus classiques ?

 M-C.P. : Si la technique est au détriment de l’émotion, oui. Là je m’ennuie. Mais, il faut s’appuyer sur la technique, parce que le mouvement  fait a fond amène l’émotion. Il faut faire des choix.  Une étoile devrait avoir la lucidité de choisir certaines choses et de ne pas devoir tout faire.

A.k. Vous le faites ?

M.C . P. : Moi, je le fais ! (Rires). Je suis unes des seules qui le fait. Parce que je suis perfectionniste.

A.K. : Quel ballet avez-vous préféré dansé ?

M.C.P. : Il y a les ballets de Jerome Robbins,  « Le Bolero » de Béjart, la création que Caroline Carlson a faite pour moi… Il y a aussi les rencontres avec John Neumeier, Maguy Marin. Ce sont des univers très différents. Les rôles phares ont été « Don Quichotte », « Carmen », « Le Lac des cygnes »… Je suis très très touchée par le répertoire de Roland Petit. « Notre Dame de Paris », « Carmen », « Le jeune homme et la mort ». Il va d’ailleurs faire une création l’année prochaine pour moi. Une pièce de Nabokov qui s’appelle « Rires dans la nuit ». Une histoire qui s’approche un peu de Lolita. J’aime travailler les rôles, la psychologie des personnages. C’est un vrai travail de comédien.

A.K. : y a t-il un ballet que vous trouvez désuet ?

M-C. P. : La « Sylphide » et…  « Coppelia », je précise, Le « Coppelia » traditionnel. Pas celui de Roland Petit bien sûr !

A.K. : Et celui que vous avez très envie de danser ?

M-C.P. « Roméo et Juliette » de  John Cranko. C’est le plus beau « Roméo et Juliette » que j’ai jamais vu. Mais, il est vrai qu’avec Kylian, Bagouet, Forsythe… j’ai déjà été assez gâtée.

Interview de Marie-Claude Piétragalla réalisé en 1994 par Anne Kerner
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