L'oeil d'Alexia Fabre, directrice du MAC/VAL sur Christian Boltanski à propos de Monumenta
Que se passe-t-il après la mort ? A cette question Boltanski propose comme élément de réponse, une installation plus radicale encore en termes d’économies de moyens que celle présentée au Grand Palais. Après la glaçante représentation du hasard de la mise à mort qui s’abat sur les individus pour Monumenta, rencontre chaleureuse et passionnante avec Alexia Fabre, conservatrice en chef du Musée d’art contemporain du Val-de-Marne.
B. A. : À quel moment avez-vous pensé à Christian Boltanski pour un projet au Mac Val ?
A.F.: Il y a plus d’un an, j’ai rencontré Christian Boltanski car nous avions une œuvre de lui dans la collection. C’est un artiste qui a toujours été bienveillant à l’égard du Musée. Précisément depuis le chantier du Mac Val, il nous a toujours suivi amicalement. C’est aussi un homme généreux de sa parole avec beaucoup d’idées. Les conservateurs qui ont travaillé avec lui le savent.
C’est l’artiste que j’aime le plus et c’est surtout celui qui m’a fait aimer l’art contemporain lorsque j’étais étudiante à l’Ecole du Louvre. Mais pour tout dire, je n’ai pas osé lui proposer quelque chose. J’avais des retenues que je n’avais pas forcément avec d’autres artistes. Finalement je me suis jetée à l’eau. Il m’a donné son accord pour faire quelque que chose au musée. Mais c’était un peu tôt.
Il a eu l’idée de le faire en même temps que Monumenta. Je n’imaginais pas à quel point cela allait être une très bonne idée. C’est véritablement un cadeau qu’il a fait au Mac Val.
B.A. : Être présent dans deux lieux différents lui a permis d’élargir son propos sur la destinée humaine avec notamment l’idée de l’avant et de l’après. La question de l’échelle était déterminante dans ces deux projets. Comment avez-vous travaillé avec lui pour le Mac Val ?
A.F. : Il est vrai que face à la question de l’échelle au Grand Palais qui l’inquiétait, le fait d’avoir un espace muséal plus petit le réconfortait. Pour le Musée, il a tout de suite pensé à un projet en articulation avec Monumenta. Tout s’est fait naturellement. On est ici dans une histoire de chronologie et d’espace différent. Il lui a fallu une année de préparation car il avait déjà en tête les deux idées. Personnellement mon rôle de commissaire fût très limité avec Boltanski. Il est commissaire de son propre travail. Il y a des artistes que l’on doit interroger, mettre sur la voie, recadrer. Pas lui. Il est extrêmement précis et professionnel.
L’exposition « Après » s’inscrit dans une suite de Monumenta. Boltanski a imaginé les deux projets comme un tout. Il parle d’un Opéra en deux actes ou bien d’œuvres en deux temps. Si pour Monumenta, il place le spectateur dans une situation terrifiante de mise à mort avec cette main de Dieu où ce hasard qui s’abat sur les individus, pour le MacVal, il a imaginé le temps de l’après, après la mort
« Après » figure le temps d’après la mort, le temps du passage que le spectateur traverse grâce à des images d’archives en mouvement qui nous font passer de l’autre côté. Boltanski utilise souvent la métaphore de l’avion pour parler de ce passage. L’angoisse de rater l’avion à cause des transports, l’angoisse de perdre ses bagages, puis l’angoisse du passage de la douane où l’on fragilise l’individu avec les fouilles et enfin le moment d’apaisement lorsqu’enfin l’avion décolle. Ce moment plus apaisé l’intéresse.
B.A. : Boltanski place des personnages rappelant l’univers des hommes qui marchent de Giacometti dans un labyrinthe qui figure la mort. D’autres références sont-elles envisageables?
A.F. : Boltanski place le spectateur dans une autre expérience qui est d’errer dans un labyrinthe sombre et en même temps très réconfortant. Ces personnages peuvent nous rappeler les hommes qui marchent de Giacometti mais aussi peuvent nous faire penser à des représentations d’anges ou bien d’hôtesses de l’air. Rien n’est imposé chez lui. Ces personnages nous posent des questions sur la mort sur le ton de la conversation avec la voix de l’artiste.
B.A. : Précisément sur la question de la mort, Boltanski l’aborde de manière universelle. Comment arrive-t-il a toucher un public aussi large.
A.F. : Comment apprendre à vivre avec ce qui doit nous arriver ? C’est un peu la proposition qu’il nous donne et c’est ce qui touche le plus grand nombre. Parce qu’il parle des fondements des religions c’est-à-dire autour de la question de la mort, du pardon, de l’espoir, de la faute et du rachat, Boltanski s’inscrit dans une démarche humaine. Il est véritablement intéressé par la vie des autres. Ces oeuvres racontent des histoires sans que se soit bavard. Son art ne s’accompagne pas de paroles et ne nécessite pas une connaissance précise de l’Histoire de l’Art. Quand on l’interroge sur son travail, il ne donne pas de réponses précises ce qui laisse une place au public. Pour en revenir à la réception des œuvres, elles sont tellement métaphoriques et poétiques que le public ressent immédiatement le respect qui anime Boltanski. Il est dans un rapport très humain à l’art.
« Après », jusqu’au 28 mars, de 12 heures à 19 heures tous les jours sauf le lundi au MAC/Val, place de la Libération à Vitry-sur-Seine. www.macval.fr
Image Alexia Fabre, photo Béatrice Andrieux