L'oeil d'Aurélia Bourquard sur Michel Blazy, Paris, Collège des Bernardins jusqu'au 30/06/12
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Croire ne les intéresse pas, ce qui les intéresse maintenant, c’est de vouloir croire.
Leur but est d’être sur le chemin qui y mène, même si le chemin ne mène à rien.
Elles ne savent pas que la menace existe et n’auront toujours, jamais rien à perdre.
Elles sont belles, et bien vivantes:
Les lasagnes
Michel Blazy – 1992
Michel Blazy a créé un univers artistique fait d’absurde, de périssable, de vivant et de mutation. Il utilise des matériaux humbles, des matières vivantes, organiques que l’on trouve dans sa cuisine ou son jardin, donnant naissance à un art animé, mouvant et étrange. Ses installations sont constituées de rencontres de matières, qui tentent de faire perdurer un moment, un instant grâce à différentes stratégies de survie. La première stratégie du vivant pour se sauvegarder est la reproduction, les oeuvres de Blazy utilisent le même moyen pour survivre, elles se reproduisent, se répètent; à l’artiste de trouver le bon geste, de se plier à la matière pour y parvenir. Ainsi, les choses artificielles produites vont s’intégrer dans le cycle du vivant et créer une sorte de rituel contre le temps en adoptant le même comportement que le vivant.
Pour cette nouvelle exposition personnelle chez art: concept, Michel Blazy a pris possession de la galerie et a fabriqué un espace sensoriel; une sorte de moment unique qui amènera le spectateur à déambuler dans une sorte de parcours tactile, visuel et olfactif. Les oeuvres ne pendent plus à leurs cimaises mais prennent possession du lieu via l’insolite. L’art n’est plus descriptif et chargé de rendre les choses belles; loin de le cantonner dans un registre illusoire, Blazy le promeut à une forme de connaissance intuitive et court-circuite notre perception de l’espace. Le sol ondule sous les méandres d’un long serpent d’aluminium, les murs fondent et mutent au gré du bon vouloir biologique, les pizzas deviennent tableaux, les lasagnes s’érigent en sculpture et la bière devient fontaine de mousse tous les soirs à 18h. Dans ce capharnaüm alimentaire, l’artiste invite à regarder les choses, les toucher, les sentir et s’imprégner de l’instant pour ce qu’il est, c’est à dire unique. Il ne s’agit pas de regarder les choses sous l’angle de l’objet pour tenter de les posséder mais de les apprécier selon l’unicité de l’instant, seul capable de produire les émotions.
Comme beaucoup d’artistes, il est l’héritier d’un ensemble varié d’héritages artistiques allant de l’Arte Povera au post-minimalisme et du ready-made duchampien, parsemé de Nouveau Réalisme et de Color-Field Painting; cependant il considère n’appartenir à aucun de ces mouvements en particulier et développe depuis plus de vingt ans une oeuvre propre et étonnante faite de propositions réalisées à un moment donné mais qui ne deviennent jamais des formes définitives, du fait notamment de leur caractère transformatoire, et donc en suspens entre le moment de la création et le chemin qu’elles vont prendre.
Son oeuvre hybride, n’est pas seulement une sorte de jardin potager expérimental laissé aux aléas du temps; les citations de l’histoire de l’art et de notre culture sont multiples et c’est aussi en cela que son travail interroge et questionne sur le temps, l’imprévisible et cette certitude teintée de consumérisme dans laquelle baigne notre société. Ainsi, les possibilités qui s’offrent au spectateur sont multiples et nous engagent à regarder de plus près ces métamorphoses, ces mutations qui nous rappellent celles qui se passent finalement tous les jours sous nos yeux dans ce que nous considérons comme étant le quotidien. La nature ou tout écosystème qu’il soit humain, animal ou végétal se définissent par la symbiose de différents domaines antinomiques: la minéralité, le dynamisme du vivant par exemple, formant un tout complexe, non réductible à ses aspects positivistes.
Dans cette exposition, il met en scène une véritable chorégraphie alimentaire de la mal-bouffe, il nous montre une vanité industrielle où crâne et chandelle sont remplacés par des produits désuets voire vulgaires qui accompagnent notre quotidien et qui parlent d’un moment de plaisir ou de régression qui n’a rien d’exceptionnel mais qui s’inscrit dans notre temps.
La critique de Michel Blazy n’est pas acerbe ou sévère, elle révèle une volonté de questionnement sur l’oeuvre en tant que telle; qui selon lui ne se définit pas par sa matérialité mais par la place qu’elle occupe dans ce que nous appelons culture. Il s’agit de déchiffrer les symboles que nous transmettent la nature et l’environnement afin d’accéder à un univers supérieur mais pour cela il faut accepter l’idée d’une mobilisation des sens. Avec un langage artistique vantant les mérites d’une sorte de Laisser faire, Laisser passer, l’artiste envisage un système perceptible pour nos sens et devient un lien entre le regardeur et le regardé, permettant le tissage de possibilités expérimentales et sensorielles nous aidant à mieux comprendre l’architecture de notre propre pensée et nous amenant à chercher une voie, une signification ou une interprétation derrière la réalité prégnante du monde.
Aurélia Bourquard
Michel Blazy, galerie Ar: tConcept, 13, rue des Arquebusiers, 75003 Paris. 33 (0) 153 60 90 30. Jusqu’au 05/05/12
Voir également le portrait par Anne Kerner de Michel Blazy dans son atelier en 2001