L'oeil d'Anne Kerner sur Erik Samakh, "Talent d'or" de la Fondation François Schneider 2011
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J’ai découvert le travail d’Erik Samakh lors d’une visite à Vassivière il y a plus de dix ans. Instant magique d’une flute sonore traînée par le vent. Rencontre dans ses montagnes qu’il quitte rarement, renontre à Chaumont sur Loire quelques années plus tard. Interview lors de sa dernière exposition chez Michèle Chomette en 2010. Et toujours le même émerveillement face à cet art si proche et respectueux de la nature. Unique. Erik Samakh vient d’obtenir 50 000 euros pour le « Talent d’or » offert par la Fondation François Schneider de Wattwiller en Alsace en octobre dernier. la moitié de la somme est consacrée à l’oeuvre » « Planter des sources ou suite des effets de serre » présentée en automne 2012.
Visite de son exposition par Erik Samakh, galerie Michèle Chomette, le 12/03/10.
E.S. : « Au début l’exposition commence par la rencontre de deux cannes sonores posées à même les murs de l’entrée. Elles font partie d’un ensemble de 34 cannes sonores en aluminium thermolacté. Elles sont modulaires et je peux les adapter complètements à une salle. Elles sont acoustiques, mais je peux aussi rajouter des sons numériques, de la voix, de la flûte… Souvent je les suspend dans l’espace. Ici, grâce à elles, le visiteur entre dans directement dans mon univers. Le regard se porte ensuite immédiatement sur une vidéo, face à l’entrée, qui montre le détail d’un lézard qui respire. Et puis il y a deux images aux murs réalisées au Cameroun : ce sont une les clés de l’exposition, mais le visiteur ne le découvre qu’en lisant le titre. C’est d’ailleurs un voyage que j’ai fait l’hiver dernier.
Dans cette exposition, il y a des images que je n’ai jamais montrées. Ce sont des autoportraits. Je les fait depuis très longtemps puisque celles-ci datent successivement de 1976, 1986, 1988, 1989, 2000, 20006, 2001, …. Il y en a une réalisée à Kyoto dans le jardin des mousses avec des bambous qui sont une de mes passions. Là c’est à Verdun, dans une forêt qui a été plantée et qui est comme une brousse. Ici c’est chez moi, dans les Hautes-Alpes, en 2001. J’ai toujours réalisé ce type d’autoportraits.
Celui là, est un des derniers portraits. C’est chez moi et je viens de dépecer un sanglier. J’ai mis la peau sur moi. Est né tout à coup ce personnage à la fois mi humain mi animal. C’est une expérience que je veux poursuivre. Sauf que c’est très difficile à faire. C’est une synergie. Cela se passe ou pas. Avoir une peau molle d’animal, une tête fraîche, la pleine lune, mes enfants autour, c’est toute une bande qui est là ( !), c’est chez moi, et il fallait que cette photo se fasse. C’est cette photographie qui a donné envie à Michèle Chomette de suivre cette expérience et de dévoiler ce choix d’images. Je voulais exposer quelque chose que je personne n’avait jamais encore vu.
De plus, dans cette exposition, nous sommes aussi entourés d’une expérience sonore. J’ai tout simplement sonorisé l’extérieur pour que ce soit comme un véritable paysage sonore. Le visiteur entend la rue Beaubourg avec des enregistrements de voitures mêlés à des chants d’oiseaux. Il se fait attraper par cela. Pour continuer les photographies… là je suis avec ma perche de travail. Souvent je demande à quelqu’un de faire la photographie. Je me mets en situation, je crée la scène. Ce sont des conceptions. Comme le fait Philippe Ramette. Je suis dans la nature mais il me reste les signes de la technologie, mon matériel, ma montre, ma ceinture qui ne me quitte jamais. Ici c’est Chambord, avec un sanglier pendant une battue… Là cela se passe sur la côte espagnole…. Là en Amazonie…
La deuxième salle apparaît totalement différente, nocturne, avec les Lucioles de Chaumont-sur-Loire et la réalisation d’un bassin dans une étable énorme. Quand on arrive dans l’exposition, on tombe aussi sur cette porte ouverte de la photo du Bassin. C’est symbolique. Il y a tout dans cette exposition. Le travail en situation et des réalisations.
Par la suite, j’ai un très beau projet avec le Centre d’art d’Embrun. Je vais y créer des serres solaires. L’exposition s’intitule « Effet de serre ». Les serres sont comme des modules de verre, à la fois transparentes, à la fois lieu d’expérimentation, habitacle, lieu d’habitation, sonore et lumineux. Mon œuvre se trouvera sur un belvédère. Il y aura un effet à la fois aquatique et lumineux. Ce travail se verra à partir du 4 juin C’est un projet qui va me mener sûrement en Italie. Cela me fait plaisir de travailler là où j’habite dans le Hautes Alpes.Dans mes autres projets il y a celui de la Nuit Blanche. Martin Béthenod m’a fait une superbe proposition autour de l’Ile saint Louis…. » Et Erik Samakh de citer Paul Ardenne pour conclure cet entretien : « Erik Samakh ne pénètre pas la nature, il ne l’investit pas comme nous autres le faisons le plus clair du temps, en passagers. Plutôt, il est habité par elle autant que fusionné à sa manière, jusqu’à ce point, l’énigme ».
« Images bruissantes. Mirages sonores. 1976-2010 », Galerie Michèle Chomette, 24, rue Beaubourg, 75003 Paris. 01 42 78 05 62. Du 11/03/10 au 07/05/10. (Légendes :1, 2, 3 – Portrait aux trois lézards, Saint Georges de Didonne 1976 1/7, Impression jet d’encres aux pigments noir et blanc sur papier Hahnemühle, Photo Rag Baryta, 40 x 60 cm, sous passe partout 60 x 80 cm; Equilibre d’un lézard sur une pierre, autoportrait 1989 1/7 et lézard ocellé, biennale de Barcelone, Impression jet d’encres aux pigments sur papier Hahnemühle, Photo Rag Baryta, marouflé sur Dibond, avec châssis arrière 108 x 80 cm; Côte Sauvage, autoportrait 1985 1/7; Impression jet d’encres aux pigments noir et blanc sur papier Hahnemühle, Photo Rag Baryta, 60 x 40 cm, sous passe partout 80 x 60 cm, Prise de vue Krista Nemcsok; 4, 5, – « les flûtes de papawitish », 2007, Chicoutimi Québec; 6 – « Les flûtes des fées »; Rencontres art nature 2007, Cotteuge, Massif du Sancy, photographie Marc Dommage; 7 – les flûtes de Lontan, ile de la réunion, 2008: 8-9-10 – Lucioles; Château de Chaumont sur Loire, 2008, photographie Marc Dommage; 11, 12, 13 – « Deux pièces d’eau », abbaye de Maubuisson, 2006, photographie Marc Dommage; 14 – « Palais d’eau et crapauds », Parc metropolitan Santiago du Cjili, photographie Erick Samakh; 15 – « Lézard vert N°1 », 2007, installation vidéo de plasma 03, château de Lauris, France, collection du FNAC.) [slideshow id=37] *Article paru dans Jardins Passion en 2001 Dans les Alpes du Sud, Erik Samakh a crée son paradis d’expérimentation et pactise avec la nature. Un art qui touche les mystères du monde.Intervention minimale. Magie maximale. Pénétrer chez Erik Samakh, c’est un peu comme entrer en religion… ou en sorcellerie… Car ici, rien n’est visible ou presque. Entre terre et ciel, anges et démons veillent, fées et druidesses rôdent. Dans la forêt touffue ou entre les plantations de bambous. Au sommet des montagnes abruptes et noires ou dans l’onde ruisselante qui borde son domaine quant ils ne jettent un sort bénéfique aux ordinateurs peuplant l’atelier. Installé depuis sept ans dans les Alpes du Sud, son « paradis d’expérimentation », Samakh a conclut le plus beau des pactes avec la nature. Celui de l’aimer. La regarder. Et la comprendre. L’attention, l’écoute, l’échange et le respect nourrissent, en effet, cette œuvre qui ne ressemble à rien d’autre qu’à elle-même. Ici, rien n’est visible ou presque. Au loin, des sangliers courent le long de la crête. Un chamois s’approche de la maison. Si près. Et pourtant. Et pourtant, l’homme regarde, cherche, traque. Il marche, s’assoit, observe. Ecouter. Voir. Sentir. Comme Bonnard, faisant « provision de vie » lors de ses promenades du matin. Comme Miro admirant les astres pour y trouver son vocabulaire de signes infinis. Comme Monet scrutant les moindres recoins de son jardin. « C’est un mode de vie, une passion qui remonte à l’enfance. C’est le même style d’attention passé d’abord par la pêche, la vie des insectes, la mer, raconte t-il avec passion… je me souviens aussi de la forêt de Fontainebleau et des Landes… Mais, mes lieux de prédilection ont toujours été les mares, les zones de vie grouillantes développées grâce à l’eau ».
Ici, donc, ni toile, ni pinceau. Encore moins de sculptures, de photographies ou de vidéos. L’art de Samakh est autre. Merveilleusement autre. Il naît de la nature pour y revenir. S’y inscrire. A peine. Imperceptiblement. En passant par la technologie et le numérique qui lui permettent à la fois l’expérimentation, puis la magie. Car, par exemple, seuls restent dans la forêt, quelques flûtes, leurs capteurs solaires et des crochets. Et il suffit d’attendre. D’être là, présent. Au bon moment. Pour se laisser envahir par les sons mélodieux nés d’un rayon de soleil, du passage d’un nuage, de la vibration d’une branche. Par surprise. Et atteindre la grâce, l’ouverture, la communion. Elever son âme. Comme à la lecture d’un haïku Japonais. Comme face à une encre de Tal-Coat… Juste trois points sur une ligne…Pas d’émotion forte. L’émotion juste. Dans ce qu’elle a de plus léger, de subtil, de vibratile. « Le spectateur perd pied, explique Samakh. Il est déstabilisé car placé entre deux réalités, entre les sons de bases et les sons incrustés ». Tout est là. Pointé par l’écoute des harmoniques déterminées simplement par la longueur des flûtes. « J’interroge l’homme, sa mémoire, sa culture, et tente de l’amener à une culture plus universelle, lui donner un regard anthropologique ». Vivre la nature, le monde. Dans son mystère et son foisonnement. Dans ses gestes, ses échanges fondamentaux. Tel est le désir d’Erik Samakh.
Tel est le désir de ce « faiseur de sons », de ce chaman des temps modernes qui joue encore des subterfuges de la technologie pour donner naissance à des jardins d’oiseaux, de batraciens, de plantes ou d’insectes. « La lourdeur technologique m’empêchait d’avoir cette conscience du regard anthropologique. Ce que je revendiquais de légèreté était limité. Aujourd’hui, mes appareils sont très discrets et d’une grande simplicité générale ». A Chamarande, il a camouflé une trentaine de flûtes dans le parc du château. A Rio, il a marché une vingtaine de minutes, guidé par le soleil, pour trouver l’endroit perdu où fonctionnerait au mieux son installation. A Santiago du Chili, il a « noyé » le musée avec l’un de ses « Miroir d’eau », poussant son concept d’ « opéra biotope » dans ses retranchements minimaux. Reste le reflet de soi-même. Une boucle étrange et poétique. Une traversée du temps. De la mémoire. Des croyances aussi. Dérèglement des sens. «De la jungle de notre esprit…, dit-il, pour donner d’autres sensations, stimuler l’imaginaire ». Dans la main de l’artiste, un lézard. Son emblème. Son fétiche. « C’est l’un des premiers animaux qui a été prétexte à la découverte de la nature, lorsque j’avais cinq ans. C’est lui aussi qui m’a rendu attentif à « l’art du traqueur ». La moindre partie de l’animal vous renseigne. Il émet une trace sonore lorsqu’il se déplace, visuelle lorsqu’on le voit ». Dans le repère d’Erik Samakh, le « passeur », si proche de Gilles Clément et Michel Blazy… intervention minimale. Magie maximale.
« Erik Samakh, Acceuil en résidence de l’artiste et présentation des installations », Parc du Château, Domaine de Chaumont -sur-Loire. De juillet à décembre.
On peut écouter les « joueurs de flûte » d’Erik Samakh :
En France : – Musée-promenade Saint-Benoît, Digne les Bains. Tel. : 04 92 36 70 70. – Domaine départemental de Chamarande. Tél. : 01 60 82 25 32.; dans les Gorges du Riou à Saint Genis dans les Hautes-Alpes. En Italie : -A l’Ecomuseo Regionale Basso Monferrato Astigiano, San Tonco; Au Brésil – « les rêves de Tijuca », Parc du Musée de Açude, Forêt de Tijuca. Jusqu’au 28 mars.