Marta Pan, souvenir rare d'une belle rencontre
Avant-gardiste nourrie de philosophie orientale, le sculpteur d’origine hongroise Marta Pan crée une oeuvre géométrique forte, harmonieuse, intemporelle qui se métamorphose en sculptures, monuments ou environnements. Suivant les commandes. Visite dans sa maison-atelier de Saint-Rémy-lès-Chevreuses.
« La pureté ?… Je ne peux pas travailler autrement. Mais je ne cherche surtout pas à être pure ! », dit Marta Pan dans un immense éclat de rire à faire sursauter son architecte de mari qui travaillait, alors, à l’étage supérieur. Et pourtant. Cette pureté, cette rigueur, cet ordre, comme une recherche magnifique et désespérée d’absolu dans la moindre sculpture, dans le moindre geste, dans le moindre objet, envahit l’ensemble de sa maison-atelier de Saint-Rémy-lès-Chevreuses où le hasard semble maudit. Entre le sculpteur, au rez de chaussée, et l’architecte également malheureusement décédé André Wogenscky, dans la mezzanine, émanait toujours la même complicité. Depuis plus de 45 ans. «Notre façon de travailler, c’est aussi notre manière de vivre ensemble », avoue l’artiste d’origine hongroise de sa voix douce et rocailleuse. Mêmes cheveux ondulés poivre et sel. Mêmes silhouettes petites et minces, fragiles et pourtant si fortes. Mêmes vêtements noirs et gris qui s’inscrivent parfaitement dans la décoration à la fois intemporelle et typique des années 60 de cette demeure pas comme les autres où la modernité se conjugue aux philosophies orientales. « Le traité du Tir à l’arc de Daisetz Suzuki reste mon livre de chevet. Je le lis et le relis. J’ai été fascinée par l’Orient dès l’après-guerre, bien avant d’y aller, pour la première fois, en 1969 ». Ici, entre les chaises Jacobsen et le cuir noir des fauteuils design, circulent les souffles de l’Univers. Le Yin et le Yang opèrent. Comme en Chine, comme au Japon, l’art et l’art de vivre se voient célébrés dans un papyrus qui se courbe vers la lumière, des galets qui longent le mur vitré donnant sur le jardin… et ce tout petit filet d’eau qui coule, coule, si doux, si calme, de jour comme de nuit… « C’est un minimum, mais un minimum qui compte » murmure l’artiste.
Débarqué à 23 ans à Paris de Budapest, en 1947, avec ses oeuvres d’inspiration minérale et végétale, Marta Pan ne regrette rien. Sa bonne étoile et son regard bleu, si bleu, lui ouvrent les portes de Brancusi et lui font partager l’amitié de Le Corbusier. Eblouissements. « Nous sommes allés souvent chez lui, nous gardions même son chien lorsqu’il était en voyage… il était très sympathique avec moi. Fernand Léger était aussi très encourageant à mes débuts lorsque je ne savais encore rien faire ! Ce n’était pas des leçons mais un contact, quelqu’un qui vous accepte. Cela suffit… Lorsqu’on est complètement déracinée… c’est comme une plante, il faut être arrosée ». Surtout pas nostalgique de son pays natal, même plutôt un peu fâchée avec la Hongrie depuis de mauvaises relations conduisant tout bonnement à l’arrêt d’un projet qui aurait du voir le jour à Budapest, le sculpteur passe d’un ton légèrement coléreux à l’enthousiasme total : « J’étais tellement à ma place en France. Je me sentais là où je devais être. J’ai eu la chance de faire de très bonnes rencontres assez vite. Et puis, j’étais tellement encouragée par moi-même !», conclut cette incroyable femme de 77 ans qui toujours sut ce qu’elle voulait. Dès l’âge de six ans, raconte la légende. « Mes parents trouvaient tellement bien tout ce que je faisais ! », se souvient l’artiste, très fière. Nostalgie tout de même. La voix vibre. Les yeux s’éclaircissent. Silence et émotion. Marta Pan, les rides pleines de sagesse, regarde à nouveau très vite devant elle. Vers l’avenir.
« Je sors souvent dans le jardin pour ne pas réfléchir. Je nage aussi, comme mon mari, 500 mètres tous les soirs, pour me libérer ». Respiration. Aération. Oxygénation. De la politique et de la communication qui interviennent trop dans son travail. Marta Pan ne s’en cache pas. « C’est dur. Pour Brest, en 1988, j’ai conçu tout le projet et n’ai jamais pu le réaliser « , dit-elle en montrant ses innombrables maquettes qu’elle coupe, scie, sculpte dans le rohacell et garde précieusement dans l’atelier. Et enchaîne sur plus positif. Son élément préféré, l’eau, qui trouve sa place dans la plupart de ses oeuvres nourries par l’architecture ancienne du Mexique et de l’Egypte, les jardins japonais ou Tadao Ando. « Dans mes environnements comme celui de Saint-Quentin en Yvelines, l’eau sert de liaison entre les lieux et les gens, les gens et la nature ». Evidemment, sur sa pelouse impeccable, la prêtresse des créations flottantes qui renouvelle totalement l’art des fontaines depuis plus de quarante ans, s’offre aussi son jardin de sculptures. Dedans-dehors, c’est bien entendu la même quête. La même recherche. Des oeuvres de taille moyennes prennent le soleil. Parfaitement rondes. Parfaitement carrées. Parfaitement géométriques. « J’ai besoin de formes parfaites, parce que des formes géométriques à peu près, ca n’existe pas », explique celle dont les montagnes vues d’avion ont inspirés sa série « Fragments de paysages ». Vous savez, je travaille par rapport à l’espace. Lorsque l’on me demande de créer un monument ou un lieu, je le réalise en fonction de tout ce qui peut y intervenir ». Les Japonais, entre autres, adorent cette femme à la sensibilité zen à laquelle ils ont déjà commandé plus d’une trentaine d’oeuvres. « Ce qui les attache à mon travail, c’est que j’ai autant besoin qu’eux de la nature… L’oeuvre ne doit surtout pas agresser les gens. Car ce qui leur manque, c’est le calme, la méditation, l’apaisement. Dans le « Patio », en 1982, par exemple, aux Champs Elysées, j’ai crée un refuge par rapport à l‘environnement. Je ne pouvais pas faire autre chose… C’est ma façon de prendre place dans la vie ».
A quelques minutes de la maison où se niche dans un silence monacal l’atelier de conception, les immenses et bruyants ateliers de metallerie et de ferronnerie d’art Saint-Jacques. Son annexe de travail. La matrice. Le ventre. Le lieu magique et suprême où ses oeuvres prennent corps. Métamorphoses des matières. Constructions. Naissances. De pierre, de polyester, d’acier. Une fois par semaine, au moins, elle contrôle les oeuvres en cours de fabrication ou de restauration. Ici, depuis 20 ans, Marta Pan se sent chez elle. Entre les reproductions de grilles anciennes qui jonchent le sol et les énormes tôles de métal qu’elle évite d’un pied léger. Car ici ça soude, ça ponce, ça tape fort. Très fort. Ca bruisse encore et ca hurle. Et elle aime ça. Entre les chalumeaux et les braises étincelantes, en attente de sa montagne sur les bords du Pacifique, « Atami », un géant encore inactif de huit tonnes et de 16 mètres de haut reste allongé sur le sol, « prêt au microbillage », explique-t-elle. Autre lieu. Autre femme. Autre épanouissement dans cet univers d’usine et d’hommes. Où la philosophie et les calculs portés se complètent par un vocabulaire de technicien formidable. Marta Pan tourne sans cesse autour de l’oeuvre, la caresse, inspecte les soudures, les tôles de 25mm d’épaisseur, pose « mille questions ». « Michel Perret, ingénieur responsable, est aussi exigeant que moi et nous travaillons en osmose ». Si d’autres mains remplacent les siennes, qu’importe. C’est la monumentalité et la perfection de l’oeuvre qui comptent. Là, elle critique la technique mise en place pour installer la sculpture. Plus loin, elle demande le nettoyage d’une oeuvre tachée revenant d’une exposition. Son regard inquisiteur inspecte, juge, soigne. Comme une mère regardant son enfant après une longue absence…
La tête dans le ciel, les pieds sur terre, les mains entre le feu et l’eau, Marta Pan crée depuis près d’un demi-siècle des sculptures spirituelles et harmonieuses qui envahissent la planète de leur beauté rigoureuse. Son emploi du temps surchargé pour un an, elle vient de reporter une exposition pour la Hollande. La porte close, le sculpteur écoute Wagner. « Hier, c’était la « Walkyrie », il y a quatre jours « L’Or du Rhin » » Si proche de la musique, portée par la perfection, toujours en route vers l’essentiel. Pour mieux capter le ”Lointain intérieur”.
Anne Kerner
Image : photo de l’auteur.