L’exposition Tout un film offre une propositions inédite, un dialogue entre le dessin et le cinéma. Découvrez le parcours avec la commissaire de l’exposition Joana Neves interviewée depuis Londres et la vidéo réalisée à partir de l’interview. Alice Randazzo & Anne Kerner.
A. K. : Que désirez-vous que l’on retienne de l’exposition « Tout un film » ?
J.N. : Je pense que le plus grand désir, c’est d’en sortir avec un rapport renouvelé au dessin et au cinéma. L’objectif est de voir le cinéma moins comme une belle histoire devant laquelle on s’oublie et on voyage et plus comme une construction, comme un jeu, comme des tas de règles qui se font et qui se refont et finalement regarder le dessin contemporain comme un art qui sert à créer des atmosphères, qui sert à entrer en dialogue et à décortiquer, à déconstruire… Il s’agit véritablement d’ouvrir les horizons par rapport à ces deux domaines de création qui sont si différents. Je pense que cette exposition est assez pertinente en France parce que le dessin et le cinéma ont une tradition extrêmement forte dans le pays.
A. K. Comment s’est monté le projet car il a été conçu au départ pour le salon Drawing Now ?
J.N. : Oui, tout à fait. C’est une exposition un peu hors piste pour le Drawing Lab. Nous savons tous que le Drawing Lab et Drawing now font partie de la Drawing Society qui chapeaute beaucoup de projets par rapport au dessin, alors cela était une solution qui s’est posée comme évidente dans le cadre actuel de la pandémie.
En effet l’exposition a été conçue pour un espace complètement different, d’où les libertés qu’on s’est données pour passer d’un langage à un autre. Dans le sens où, les expositions du Drawing Now ont un but très précis : le premier est celui d’ouvrir la notion du dessin, le second montrer que le dessin est présent dans d’autres secteurs de l’Art dans un sens large.
Avec cette exposition, notre premier désir est d’ouvrir la notion de dessin et de comprendre que collectionner le dessin peut être aussi collectionner de la bande dessiné ou collectionner des storyboards.
Notre deuxième objectif est de proposer une expérience directe, qui est non commerciale, donnant accès à des oeuvres qu’on ne verrait pas autrement et faire intervenir les institutions, les collections des institutions qui existent à Paris, en France…
A. K. : Est si vous nous ameniez faire le parcours de l’exposition ?
Quand on arrive à l’exposition quelle oeuvre annonce l’exposition Tout un Film! ?
J.N. : Dès que l’on arrive à l’entrée, nous avons réalisé une sorte de première. Nous avons créé un poster à partir d’un des dessins de Camille Lavaud. C’est l’une des artistes contemporaines invitée à participer à Tout un film!. Elle a un travail assez décontenançant dans le sens où elle crée d’abord des posters de film, des bandes dessinées qui fonctionnent un peu comme des storyboards, des bandes annonces du film, des faux logos de boîtes de production, des faux noms de réalisateurs de cinéma, etc. Cette élaboration par le biais du dessin de films qui n’existent pas et n’ont jamais été réalisés, de films série noire, « série B », sont une façon pour elle d’aller vers la réalisation du vrai film, venant par la suite à un moment donné dans son parcours.
Cette sorte de « méta poster » est une manière de souligner ce croisement entre dessin contemporain et la part graphique de l’art cinématographique qui se fait à travers la projection fictionnelle de la part des artistes par rapport au cinéma mais aussi de la part des cinéastes qui regardent l’art contemporain.
A. K. : Quand le visiteur descend l’escalier, dans l’espace, quelle est la vue d’ensemble de l’exposition ?
J.N. : Nous avons fait émerger trois ensembles.
D’une part, nous observons des artistes qui décortiquent le langage du cinéma. En ce sens, je pense à l’exemple le plus extrême avec la jeune artiste Elsa Werth qui travaille principalement sur le dessin conceptuel et l’art conceptuel en général. Elle nous propose une oeuvre où elle tamponne sur le mur l’expression de dessin comme de cinema, point de fuite.
Puis, par ailleurs, il y a un groupe un peu dada avec des influences très précises de début de siècle, un peu hors norme dans l’histoire du dessin voire même de la peinture du XXè siècle. Ce groupe se situe au fond de l’exposition donc le visiteur le voit en rentrant sur le mur d’en face.
Il s’agit d’Antoine Marquis qui a produit une série de dessins pour l’epxosition. Ils ont été réalisés à partir de La Montagne sacrée d’Alejandro Jodorowsky. Ce dernier est bien sûr présent dans l’exposition avec des oeuvres qui n’ont pas du tout trait à sa cinématographie, mais au contraire qui adviennent de son intérêt pour les artistes dada, pour les artistes rebelles du début du siècle. Ainsi, nous exposons deux oeuvres de celui-ci, peu surréalistes en vitrine. L’une qui est en papier mâché, une espèce de figure humaine et puis une autre qui est un objet un peu duchampien fait avec des morceaux de sucre.
Dans la salle du fond, nous dévoilons une des séries qui se situe au coeur même de la rencontre du cinema et du dessin, avec l’immense artiste William Kentridge et son oeuvre « Drawings for Projection ».
Finalement, le troisième groupe à trait à l’animation, au dessin en mouvement avec un très beau spécimen de la collection de la cinémathèque française. Il s’agit de dessins de Paul Grimault sur celluloïd de préparation voire même utilisés dans La Bergère et le ramoneur qui est devenu après Le Roi et l’oiseau.
C’est véritablement magnifique parce que c’est un dessin en train de se transformer en poussière parce que l’utilisation du celluloïd affecte le dessin et le temps fait que le dessin ne tient plus sur cette surface et donc se délite. Nous voulions donner de l’importance au côté matériel du cinéma.
C’était important pour nous de mettre en plein centre de la salle d’exposition le dialogue entre Paul Grimault et Sébastien Laudenbach. Ce dernier, pour son film d’animation, La jeune fille sans mains a inventé un dessin qui s’improvise à mesure qu’il se fait.
Enfin, Camille Lavaud se situe aussi bien entre ce langage du cinéma qui s’interroge et qui s’explore, une sorte de méta cinéma et l’animation puisqu’elle fait des storyboards de bandes dessinées.
Toutes ses oeuvres se rattachent à celles de l’artiste Alex Tavoularis qui était le storyborder de Francis Ford Coppola dont nous présentons des storyboards réalisées pour Le Parrain.
Enfin, l’invitation de Mathieu Dufois, nous fait particulièrement plaisir parce que tout comme Antoine Marquis il a conçu une oeuvre spécialement pour l’exposition. Il a préparé une maquette qui est inspirée d’une histoire qu’il a repêché avec Françoise Lémerige, responsable des collections papiers et des oeuvres d’art de la cinémathèque. Il est en effet tombé sur un dessin d’Alexandre Trauner d’un bagne pour enfants d’aspiration atmosphérique réalisé pour un film que Marcel Carné allait tourner, La Fleur de l’âge et qui aurait été le premier film d’Anouk Aimée. Mais c’est un film qui ne s’est jamais réalisé, personne ne sait pourquoi. Ce mystère a attiré Mathieu Dufois parce que ce dernier est passionné par les histoires qui se racontent autrement et qui peuvent avoir des milliers d’interprétations. Ainsi, nous présentons également l’image d’Alexandre Trauner qui l’a tant inspiré au côté de ses maquettes dans une petite salle juste devant l’escalier. Mathieu Dufois entre tout naturellement en dialogue avec William Kentridge, avec cette volonté de faire du dessin qui s’anime mais qui n’est pas du cinéma et qui n’est pas un storyboard non plus. Ils livrent ce qui reste un peu d’intangible dans des images en séquence qui est l’expérience « classique » du cinéma.