MUSÉE DE LA CHASSE ET DE LA NATURE
SOPHIE CALLE ET SON INVITÉE SERENA CARONE – BEAU DOUBLÉ, MONSIEUR LE MARQUIS !
BEAU DOUBLÉ, MONSIEUR LE MARQUIS ! SOPHIE CALLE ET SON INVITÉE SERENA CARONE
Le musée de la Chasse et de la Nature invite Sophie Calle à investir ses salles. Sous le commissariat de Sonia Voss, l’exposition sera la première présentation muséale en France à couvrir plusieurs décennies de création de l’artiste, depuis sa rétrospective au Centre Pompidou en 2003.
SOPHIE CALLE AU MUSEE DE LA CHASSE
Après le centre George Pompidou en 2003, l’artiste française et internationale, Sophie Calle investit, un nouveau consacrée les salles du musée de la chasse à Paris.
« L’artiste cherche ses pensées secrètes les plus honteuses, sa quête qu’on pourrait appeler « une chasse à l’homme » ainsi que ses obsessions maladives de l’abandon et de l’échec, ses tourments les plus intimes, mais aussi les racines de l’éducation qu’elle a reçu. Chaque détail est retransmi dans ses œuvres. Elle viole les codes de l’esthétique artistique pour en faire un vrai conte personnel et charnel au sens propre du terme. Sophie Calle joue avec les limites du fantastique, elle instaure une vraie politique sociale imageant la course contre le temps, contre l’argent, contre toute forme de matérialisme et reste dans l’aspect le plus naturel de l’être humain. Entre ses failles les plus profondes, elle violente littéralement son spectateur en lui exposant une image qui le malaise, mais peut aussi le fasciner. Que retenir de Sophie Calle et de ses œuvres? Une souffrance, une frustration peut être grande, mais ce qui est encore plus fort, c’est ce que l’on décide d’en faire ». Elia Drai.
L’œuvre de Sophie Calle est construite sur les frontières poreuses entre autobiographie et récit fictionnel. Au cœur de son travail se côtoient les questions existentielles du regard, de l’altérité, de l’amitié et de la mort, transcendées par les rituels et le jeu. L’exposition permet de redécouvrir certaines pièces de l’artiste dans le contexte singulier des collections du musée et révèle par ailleurs des œuvres spécialement conçues pour l’occasion.
La méthode de création de Sophie Calle emprunte certains aspects à la pratique de la chasse. Ainsi, elle s’est fait connaître en s’exerçant au « pistage » d’anonymes croisés dans la rue. Changeant de rôle, elle a également endossé celui de la proie et confié à un détective privé le soin de suivre ses faits et gestes. La poursuite amoureuse, autre variante de la chasse à l’homme, traverse par ailleurs son œuvre comme un fil rouge, prolongé ici par les annonces de rencontre, source d’inspiration de deux nouvelles œuvres.
Sur le chemin de Sophie Calle, on trouve également des animaux, tantôt compagnons intimes, tantôt créatures fantasmatiques. Les animaux naturalisés occupent même une place essentielle dans sa vie. Elle leur attribue une fonction de représentation, établissant une connexion affective avec le monde de ses proches. La ménagerie empaillée qui peuple son univers vient habiter les salles du musée de la Chasse et de la Nature le temps de l’exposition.
Faisant du musée son « territoire », elle y insère ses propres travaux et incite ainsi le visiteur à une nouvelle appréhension, le convie à traquer dans la profusion déco- rative des salles ce qui relève de son expérience intime.
L’artiste Serena Carone a été invitée par Sophie Calle à dialoguer avec elle au sein de l’exposition et présentera plusieurs objets issus de son bestiaire artistique. Son œuvre constitue une sorte de cabinet de curiosités né de l’expérimentation et du travail des matériaux les plus divers. Aux antipodes de l’approche conceptuelle de Sophie Calle, Serena Carone propose un monde à la fois merveilleux et inquiétant et pose un regard singulier sur le monde vivant et son rapport à la mort.
À PROPOS DE LA CHASSE SOPHIE CALLE — Je ne connais pas l’univers de la chasse. C’est une pratique qui m’est étrangère. En revanche, lorsque je me suis rendue à Belval où se trouve le domaine de chasse du musée, j’ai trouvé dans ma chambre un livre dans lequel j’ai découvert le vocabulaire de la chasse, qui m’était totalement inconnu et qui m’a frappée. Un vocabulaire magnifique — comme le sont les vocabulaires spé- cialisés. En lisant ces expressions : les fanfares de circonstance, la période du sang…, je me suis souvenue d’un texte de Valère Novarina qui énumère tous les fleuves du monde. À PROPOS DU MUSÉE DE LA CHASSE ET DE LA NATURE SERENA CARONE— Je le connaissais bien sûr. J’y suis allée souvent pour son atmosphère hors du temps, pour le sentiment délicieux de pénétrer par effraction dans une magnifique maison privée, pour ses collections de fusils et de céramiques que j’adore ou pour le selfie incontournable avec l’ours blanc que j’ai refait systématiquement au cours des années et que j’ai aussi reçu de tous mes amis ! Plus tard pour ses expositions d’art contemporain toujours étonnantes. À PROPOS DE LA MORT SOPHIE CALLE— Mon travail porte beaucoup sur le manque, l’absence. Il est traversé par la mort… mais comme les œuvres de la majorité des artistes. Je viens de réaliser un projet intitulé Ma mère, mon chat, mon père, dans cet ordre, sur ces trois morts. Il est clair que je suis la suivante. J’ai toujours pensé à ma mort, tourné autour. Je pense que c’est un effet de l’âge et de la mort récente de ceux qui m’étaient les plus proches. L’année dernière, j’ai tenté d’acheter ma tombe au cimetière du Montparnasse, j’ai échoué, et j’ai fait un film là-dessus. Je n’en ai pas fini avec ce sujet. SERENA CARONE— Pour moi, la représentation de personnages ou d’animaux en volume, figés dans le temps dans des postures précises a déjà tendance à évoquer la mort. Elle a toujours été discrètement présente dans mon travail. Pas forcément la mort elle-même d’ailleurs, mais diffé- rentes petites morts, comme celle du couple, du bonheur, des sentiments… Même si mes sculptures sont souvent empreintes d’humour il y a toujours une certaine mélancolie qui s’en dégage. À PROPOS DE L’INSPIRATION SOPHIE CALLE — L’absence d’inspiration est un sujet comme un autre. J’ai déjà fait un travail sur ce thème avec mon projet sur l’argent, Unfinished. J’avais cherché pendant 16 ans une idée pour accompagner des images montrant des gens en train de retirer de l’argent à des guichets automatiques. Et j’ai réalisé au bout de ces 16 ans que le sujet, c’était justement cette impossibilité de parler de l’argent. Dans le cas présent, en me promenant dans les rues d’Arles, je suis tombée tout à fait par hasard, chez un poissonnier, sur ce panneau « Pêchez des idées chez votre poissonnier ». Ça m’a fait rire car justement je pensais ne plus avoir d’idées. La mort de mon père m’avait paralysée, la personne pour qui je voulais créer n’était plus là pour regarder mes œuvres. Ce n’était pas prémédité, c’est venu trouver sa place dans l’exposition par la suite. À PROPOS DE L’ATELIER ET DE LA MÉTHODE DE TRAVAIL SERENA CARONE— Mon atelier est un univers hors du temps, j’y construis, détruis beaucoup et y travaille souvent des matériaux très différents sans pour cela en connaître vraiment la technique. Souvent je pars en débutante et mets un temps infini à maîtriser la méthode qui me permettra d’aboutir à ce que je veux faire. Le choix de la matière découle souvent du sujet que j’ai choisi de traiter. Hormis mon goût pour l’art maniériste du xvie siècle, les vanités ou les églises surchargées, l’univers plutôt baroque qui se dégage de mes sculptures est sûrement dû à ce besoin obsessionnel que j’ai de vouloir rentrer dans les détails. À PROPOS DES ANIMAUX NATURALISÉS SOPHIE CALLE — J’ai commencé avec des têtes de taureaux parce que je suis camarguaise. Je vais aux corridas depuis que je suis petite. Avoir la tête d’un taureau pour la faire naturaliser, ça fait partie du rituel du milieu taurin — tout le monde ne le fait pas, Sophie Calle et Serena Carone dans la salle du Cerf et du Loup. © Musée de la Chasse et de la Nature, Paris, 2017 – Thilo Hoffmann PAGE PRÉCÉDENTE Sophie Calle L’Ours, 2017. car il faut connaître le boucher, le taxidermiste… Mais les toreros, après une grande faena, tentent de garder la tête du taureau. Ensuite, je me suis prise d’intérêt pour les chouettes. Il en mourrait beaucoup chez moi, elles entraient par la cheminée, je les retrouvais mortes quelques jours après. Ma collection est née ainsi, comme naissent les collections. Au bout d’un moment, j’ai commencé à donner aux animaux les noms de mes amis : tel animal ressemblait à telle copine, je lui ai donné son prénom, et ainsi de suite. Lorsqu’une nouvelle personne entre dans ma vie et prend de l’importance, je cherche un animal qui lui correspond — et quand je trouve un nouvel animal, j’essaie de trouver un nouvel ami ! SERENA CARONE — J’ai un rapport étroit aux animaux, depuis toujours j’ai de la tendresse et de la fascination pour eux. Je me souviens avoir joué avec une pieuvre pendant plus d’une heure quand j’étais enfant, une vraie complicité s’était installée entre nous, cela m’a marquée. Je me souviens d’un magnifique bébé renard venant me manger dans la main un jour où j’étais assise tranquillement au milieu d’une forêt… Peut-être que cela a influencé mon travail par la suite. Pourtant quand je sculpte un animal ma démarche est plutôt anthropomorphique. J’essaye toujours de représenter l’homme à travers les bêtes, les sentiments humains. Certaines de mes pieuvres par exemple sont enfermées étroitement sous cloche, c’est un vrai discours sur la claustrophobie. Mes chauves-souris ont chacune une expression et une personnalité différente, c’est un groupe mais contrairement aux rassemblements d’animaux, chaque individu est un être singulier. Certains de mes animaux ont même des corps humains, même ma carcasse de poulet en acier se tient debout comme une personne. Je choisis mon matériau le plus souvent en fonction de la forme et de la manière dont je veux représenter le sujet. La cire par exemple me semblait un bon maté- riau pour fabriquer une multitude de peaux de saumon car je pouvais à partir d’un moule original en créer rapidement de différentes couleurs et de différentes formes en les déformant légèrement à la sortie du moule. La faïence, pour sa solidité et le rendu brillant de l’émail, me semblait s’adapter parfaitement à la repré- sentation d’une pieuvre qui sort de l’eau… Je suis totalement autodidacte… Mais je m’adapte, j’ai un rapport amical et instinctif à la matière, je sens ce que je peux en faire, où sont ses limites et où sont les miennes.