Depuis plus de dix ans, la galerie Karsten Greve présente l’oeuvre du peintre chinois Ding Yi reconnu dans le monde entier pour ses modulations du signe « + ». Elle dévoile Grids, une sélection d’une dizaine d’huiles sur toile de sa célèbre série Appearence of Crosses, ainsi qu’un groupe d’œuvres inédites sur papier. C’est désormais dans un atelier de plus de 1000 m2 près de l’aéroport de Hongqiao que l’artiste chinois Ding Yi crée ses toiles. De tous formats et souvent immenses. Hanté par l’urbanisation de Shanghai, il peut travailler pendant des semaines 15 heures par jour pour livrer des damiers fous taillés sur la toile ou dans le bois. Inspiré des mathématiques, des tissus écossais, des camouflages militaires, il montre une sélection d’oeuvres toujours inouïes.
À partir de la moitié des années 1980, Ding Yi s’éloigne de l’étude de la peinture traditionnelle pour se tourner vers l’abstraction. En 1988, il réalise sa première peinture composée par un assemblage de signes « + », devenus ensuite emblématiques de son œuvre. Son travail est montré dans l’exposition pionnière China Avant-garde auMusée national d’Art de Pékin en 1989. Depuis, l’artiste a développé un style entièrement personnel, limitant son choix formel au seul signe « + » et à sa variante « x ». Ses tableaux abstraits ont vite suscité un grand intérêt en Chine comme dans le reste du monde : en 1993 son œuvre est montrée en Europe pour la première fois lors de la 45ème Biennale de Venise et en 1994 le Shanghai Art Museum lui dédie sa première exposition muséale personnelle.
Dans les toiles de Ding Yi le signe « + » est dépourvu de toute référence sémantique et est choisi pour sa simplicité et son caractère universel. Toute narration est bannie pour faire place à une recherche formelle qui a comme sujet unique l’essence de la peinture, soit la relation entre forme et couleur et leur rapport avec l’espace. Ding Yi travaille alors sur les effets crées par la superposition et la juxtaposition des signes « + » de différentes couleurs sur un fond souvent monochrome ; il s’intéresse aux effets spatiaux que l’agglomération du motif crée sur la surface de la toile selon les tonalités, les proportions et les propriétés des matériaux. Dans ses premières œuvres, Ding Yi cherche à réduire au maximum la subjectivité du peintre et de son geste pictural. Par l’utilisation de la règle et du scotch, il réduit les qualités sensibles de la matière. Depuis 1991, l’artiste libère son geste, abandonnant tout outil pour peindre à main levée. Rapidement il ouvre sa pratique à des matières inhabituelles telles que le tartan – tissu écossais traditionnel –, le carton ondulé ou plus récemment, la peinture sur bois qu’il travaille selon la technique de l’incision. Ding Yi construit un système de modules parfaitement ordonné géré par le principe de l’accumulation, qui exige le regard actif du spectateur. L’effet visuel dépend de la distance de l’observateur : une perspective éloignée permet de voir les changements dynamiques des couleurs qui dessinent des trajectoires ou des grilles. Mais en se rapprochant, on découvre une surface surpeuplée d’éléments, une trame impénétrable dont les traits constitutifs empêchent tout effet de profondeur.
Né à Shanghai en 1962, Ding Yi a vécu son enfance sous l’influence de la révolution culturelle maoïste, pour ensuite étudier la peinture au moment de l’ouverture de la Chine au marché global. Cette ouverture, encouragée par le gouvernement de Deng Xiaoping à partir de 1979, a permis aux artistes chinois de découvrir l’art européenet américain du XXème siècle. Ding Yi est surement l’un des artistes qui a su le mieux comprendre la leçond’artistes comme Cézanne et du modernisme, qui l’ont amené à se détacher du réalisme ainsi que de la peinture traditionnelle, pour créer une forme d’abstraction très personnelle qui se revendique comme pleinement chinoise. Adoptant un vocabulaire essentiel – réduit au motif du « + » – l’artiste dépasse le concept de minimalisme tel que l’aborde l’art occidental. Avec un seul élément superposé et juxtaposé à l’infini, où seule lacouleur et l’inclinaison changent, il remplit la surface de l’œuvre de signes entrecroisés qui fonctionnent enensemble. C’est la combinaison de ces deux caractéristiques – l’extrême réduction du langage formel et l’accumulation dans un régime d’all over – qui a conduit le commissaire et critique Hou Hanru à parler de « Minimalisme excessif » à propos de la forme particulière d’abstraction de Ding Yi.
Dans l’apparent détachement de la réalité, dans le refus de toute narration, les œuvres de Ding Yi portent pourtant en elles les caractéristiques spécifiques de la société chinoise contemporaine et tout particulièrementdu récent développement des mégapoles comme Shanghai, où l’artiste habite encore aujourd’hui. Dans ses œuvres sur fond noir, les signes s’étalent et se groupent comme pour reconstruire le plan de la ville illuminée la nuit par d’innombrables néons. L’accumulation de traits rappelle le fourmillement des passants dans les centres commerciaux qui structurent désormais l’espace des villes de la Chine capitaliste, le bruit et le chaos qui dominent la vie dans ces mégapoles saturées. Néanmoins, le processus créatif de l’artiste est lent et répétitif et la réitération de signes se configure comme une sorte de mantra visuel, qui nous éloigne de la confusion du monde pour retrouver la concentration et le calme.
Ding Yi est né à Shanghai (Chine) en 1962. Il a obtenu un premier diplôme en 1983 au Shanghai Arts & Crafts Instituteet un deuxième en 1990 à l’Université de Shanghai au département des Beaux-Arts. L’œuvre de Ding Yi aborde la peinture mais aussi l’installation et l’architecture. Depuis 2005 il est professeur à l’Institut d’Arts Visuels de Shanghai. Son travail a été exposé lors d’importantes manifestations internationales telles que la Biennale de Venise (1993), la TriennaleInternationale d’art Contemporain de Yokohama (2001), la Biennale de Shanghai (2006), la Biennale de sculpture deShenzhen (2012) ainsi que la Biennale de Busan (2016). Parmi les institutions qui ont exposé son oeuvre figurent entre autres le Solomon R. Guggenheim Museum de New York et Bilbao, le Centre Pompidou de Paris, le MaXXI de Rome, le MAMbo de Bologne et le Hamburger Bahnhof de Berlin. Récemment son œuvre a fait l’objet d’importantes expositionsrétrospectives en Chine, notamment au Long Museum de Shanghai (2015), au Xi’an Art Museum de Xi’an (2016) et auGuangdong Museum of Art de Guangzhou (2018). Ding Yi vit et travaille à Shanghai.