Dès le début de la pandémie, Omar Ba a quitté sa résidence à New York pour retrouver son atelier au Sénégal. Entre deux confinements, il a exposé à la galerie Templon de Bruxelles de février à mars 2021, ses premiers très grands formats relatant ses préoccupations actuelles. Son vocabulaire plastique réactive des interrogations historiques et atemporelles tout en élaborant un propos artistique d’une absolue contemporanéité. Coloriste surdoué, ses oeuvres précieuses « embellissent », dit-il, des sujets politique et sociaux d’une force inoubliable. Interview en direct de Dakar. (Dakar, avril 2021).
Anne Kerner : Qu’avez-vous présenté lors de votre dernière exposition à Bruxelles en mars dernier ?
Omar Ba : Pour cette exposition en Belgique, à la Galerie Templon j’ai aussi bien travaillé sur la toile que sur le carton. Il y a six œuvres sur carton et six sur toile. Je ne veux pas être enfermé par le support ou le format. J’adore le papier et je n’ai pas envie que l’on m’impose une manière de faire. Je travaille donc sur tous les matériaux que j’aime et après les galeries choisissent. J’ai réalisé pour Bruxelles de très grands formats (deux mètres quarante sur un mètre cinquante) en papier kraft.
A.K. : Que représentent-elles ?
O. B. : Trois toiles représentent des chefs d’États africains et trois autres des chefs d’États européens. Ces œuvres devaient normalement être montrées face à face, car c’est un ensemble qui parle des mêmes problématiques. J’ai voulu dénoncer les chefs d’État africains qui changent de constitution dès que cela les arrange, pervertis aussi bien par le système, l’Occident, les jeux d’intérêt, le pouvoir…
A.K. : Vous vous êtes intéressé à la crise sanitaire également ?
O. B. : Je voulais évoquer la situation sanitaire car l’Afrique est trop souvent présentée comme vecteur de maladies.
A.K. : Comment ces problématiques sanitaires se retrouvent dans vos œuvres ?
O. B. : Parmi les trois œuvres qui s’y consacrent, celle intitulée « Quelle planète choisir ? » pose la question devant une telle situation : « quel monde dois-je choisir pour vivre ? ». Dans des petits formats, j’ai développé l’idée des déplacements réduits et le confinement. C’est pour cela que dans certaines vous voyez des traces de pas, des pieds… Vous voyez aussi un personnage de dos avec des globes terrestres et je tente d’expliquer quel pourrait être le monde idéal.
A.K. : Quel est-il pour vous ?
O. B. : Pour moi, le monde idéal est un monde où les gens font beaucoup plus attention au développement de la planète. Le fait de toujours vouloir aller plus vite et de ne pas en mesurer les conséquences mène à de nouvelles maladies, aux diabète, à l’hypertension… Pour la première fois, l’humain a vécu une situation inédite qui a touché le monde entier et cela m’a choqué. Je me demande si nous ne devrions pas plutôt vivre plus lentement pour les générations futures.
A.K. : Quand vous êtes rentré au sénégal, quelles questions se sont posées à vous ?
O. B. : Je me suis dit que j’allais avoir plus de temps pour travailler mais il s’est passé le contraire ! Quand je suis arrivé, j’étais préoccupé par ma famille, mes proches… Alors je me suis occupé d’eux. J’ai essayé d’être au plus près de la nature. Je me demande ce que va être le monde après, je me questionne sur l’avenir.
A.K. : Et cela se ressent énormément dans vos œuvres …
O. B. : Oui, mais je n’ai pas voulu tout centrer sur cette pandémie. En Afrique, nous avons l’habitude de vivre des problématiques beaucoup plus importantes. Il est essentiel de parler de notre devenir, du monde, des relations entre les peuples. Je me suis dit que j’allais parler d’une autre covid : les chef d’état africains. Pendant cette pandémie, une chose a été positive car pour la première fois, au Sénégal, toutes les couches de la société ont été touchées. Personne ne pouvait aller en Europe pour se soigner et l’état s’est rendu compte que les hôpitaux n’étaient pas suffisamment équipés, que les médecins n’étaient pas bien payés… La seule chose possible était l’entraide et le respect des mesures sanitaires, et dans un court laps de temps, apprendre une autre manière de vivre. Mais il faut des changements de fond.
A.K. : C’est pour cela que la nature est omniprésente dans vos œuvres ?
O. B. : Il faut redonner sa place à la nature dans notre vie. Elle est à l’origine de toute chose. L’être humain fait partie de la nature et il ne faut pas tenter de la dominer. Nous avons besoin de nous soigner, de nous nourrir grâce à elle. C’est pour cela que dans mes peintures, je représente la nature avec des formes florales, des plantes mais aussi des formes imaginaires. J’essaie aussi de montrer le côté magnifique et beau de la nature. Les sujets que je traite sont durs pour mieux faire passer mes messages, je les embellis.
A.K. : La femme est très importante dans votre travail ?
O. B. : Oui, dans cette exposition, par exemple, sur certaines oeuvres représentant les chefs d’état africains j’ai représenté une femme derrière chaque homme. Cela fait référence à une phrase que l’on dit souvent « derrière chaque grand homme, il y a une femme » et inversement. Mais c’est aussi pour dire que la femme est à l’origine de la vie. Il y a donc cette idée de magnifier la femme, de lui rendre grâce. J’essaie également de dire : est-ce qu’il ne serait pas envisageable que dans une société les femmes soient des chefs d’État ou qu’elle puisse faire partie des organes décisionnels ? Pourquoi ce sont toujours des hommes ? Pourquoi ne pas changer cela ? Ce sont des questionnements qui se sont imposés à moi. C’était une manière de redonner sa place à la femme en sachant qu’à l’origine les société africaines sont plutôt matriarcales. Il y a beaucoup de langues en Afrique où quand on nomme une personne on la lie à sa mère et non à son père. Cela montre que la place accordée aux femmes dans ces sociétés antérieures, c’est-à-dire avant l’arrivée des religions que l’on connaît, et avant l’occupation occidentale, était beaucoup plus importante. La femme avait sa place et était concertée dans les décisions.
A.K. : C’est surtout ces deux thèmes là qui vous préoccupent en ce moment ?
O. B. : Je pense que dans cette exposition j’ai vraiment voulu développer ces deux préoccupations. La plupart du temps mes œuvres tournent autour des questionnements sur moi-même et les gens qui m’entourent. Je n’ai pas voulu éloigner ma réflexion. Rien qu’avec ces sujets je pouvais faire trente ou quarante œuvres mais je suis resté succinct. Ce qui était significatif dans ces œuvres, c’est également les formats. C’est la première fois que je fais d’aussi grands formats. Pour moi, plus l’œuvre est grande plus j’ai une capacité et une possibilité d’explorer des choses, ce que je n’arrive pas à faire sur un petit format. J’ai de plus en plus ce besoin de dire et de communiquer avec des formats plus importants pour pouvoir mettre réellement chaque élément à sa place.
A.K. : C’est aussi une manière d’explorer de nouvelles techniques ou d’aller plus dans le détail ?
O. B. : C’est un peu des deux. Je suis englouti par la grandeur. Les personnages mesurent presque deux mètres. On a donc plus de possibilité d’aller dans le détail. J’explore aussi de nouvelles techniques au niveau des pigments, des matériaux…Pour cette exposition, j’ai beaucoup travaillé avec l’encre de Chine. J’ai essayé de peindre directement sur le papier et j’ai pu observer qu’au niveau du rendu c’était extraordinaire mais au niveau de la technique, le papier est très absorbant et se plie. Par la suite, j’ai remarqué que si toute la surface est travaillée de la même façon, le papier devient très plat. En effet la tension du pigment est au même niveau et donc cela devient plat mais s’il y a des zones moins chargées par la couleur, ça gondole. C’est une chose que je n’avais pas expérimentée avant et c’était très intéressant.
A.K. : Qu’utilisez-vous comme pigments/couleurs ?
O. B. : J’adore la peinture à huile, mais je travaille vite et l’huile sèche lentement, cela peut prendre cinq ou six jours pour sécher. Alors je me suis dit pourquoi ne pas utiliser l’acrylique et terminer les finitions à l’huile. J’utilise la gouache pour créer des profondeurs en noir. Cependant, je tends de plus en plus à aller vers les encres car je peux retravailler ces dernières à l’eau et crée un effet magnifique. J’ai beaucoup travaillé aussi avec les crayons et c’est quelque chose que j’adore, ça donne des résultats splendides.
A.K. : Quels sont vos projets à venir ?
O. B. : Je prépare une exposition qui aura lieu en 2022 aux États-Unis, à Baltimore. Je planifie une exposition avec la galerie Templon à Paris qui aura sûrement lieu en janvier de l’année prochaine. Je serai également à la Biennale de Dakar. Peut-être aussi au Musée des civilisations à Dakar. Je suis également présent aux foires telles que Art Basel, à Art Basel Miami, à la FIAC…