Interview de Nicolas Delprat par Anne Kerner, le 20 mars 2021, réalisé à l’occasion de l’exposition à la Michèle Schoonjans Gallery, du 14 mars au 26 juin 2021.
Anne Kerner : Que présentez-vous à l’exposition ?
Nicolas Delprat : Je propose un ensemble de peintures récentes et anciennes sur toiles et sur papiers que nous avons sélectionné avec la galerie Michèle Schoonjans (Bruxelles). Ici, les pièces de la série James et Dan dans leurs dernières évolution.
A. K. : Parlez-nous de la dernière toile que vous venez de finir ?
N.D. : Il s’agit de Dan évolution 5. J’y ai rendu visible une certaine spatialité dans le geste. Je commence par réaliser le motif d’un tube de lumière sur un fond noir. Au cours de la réalisation j’applique une trace de pinceau avec de la peinture noire. Dans un second temps je retravaille mon motif. Le tube passe donc devant la trace de peinture. Puis je finis par une trace du geste avec la brosse de peinture. Je crée ainsi un décalage, car le motif lumineux passe entre les deux passages de pinceau. Je ramène ainsi une spatialité, une perspective, une profondeur. Ce passage de brosse reste en suspension dans la toile.
A. K. : Du coup, les gestes identifient la peinture…
N.D. : C’est aussi une manière de révéler les outils de peinture que j’utilise lors de la réalisation. Tous ces éléments qui participent à la fabrication de l’image : les pinceaux, le pistolet peinture mais aussi les scotchs…
A. K. : Avant, vous étiez distant de l’oeuvre, aujourd’hui , avec le geste, vous vous en approchez….
N.D. : Désormais, je questionne le geste, l’action de peindre, j’énonce les outils avec lesquels je travaille, mais cela reste un élément de construction de l’image qui participe à donner une perspective ou à donner une tension. Les scotchs par exemple sont apparus parce que j’ai fait une série sur papier pour une commande pour la galerie Maubert (Paris). Habituellement je travaille essentiellement sur une toile très lisse. Pour ce projet j’ai imaginé un travail sur papier avec une qualité de surface différente et j’ai gardé les traces du processus de création.
A. K. : Quel est le travail qui vous a amené à cette prise de conscience ?
N.D. : C’est lors de mon intervention dans les ruines d’un village abandonné de Navarre que j’ai quitté les limites du tableau pour adosser une installation picturale minimaliste aux entrées des maisons délabrées. J’ai réalisé pour cette intervention in Situ un travail de peinture phosphorescente sur tubes d’acier. Proposant ainsi, de nuit, un décor de lumière, géométrique et construit. J’ai ensuite poursuivi une évolution de ce travail sur toile lors de ma résidence à la Casa de Velázquez à Madrid, en inversant le processus.
A. K. : Parlez-nous de « James »
N.D. : La série James fait écho au souvenir d’une expérience de l’installation de l’artiste minimaliste James Turrell. Elle montre l’apparition d’une lumière blanche, le passage d’un espace à un autre est énoncé. De l’obscurité à la lumière. Je n’y peins pas l’oeuvre de James Turrell : ce qui m’intéresse c’est ce que l’on voit depuis le corridor obscur qui mène à l’installation, une porte nimbée d’une lumière atmosphérique émanant de la salle.
Conservant finalement que le souvenir au détriment de l’oeuvre elle-même.
A. K. : Aujourd’hui, avec le geste vous réintroduisez même la coulure ?
N.D. : Les traces de brosse, l’éclaboussures qui s’écoulent le long de la toile, rappellent la nature liquide du médium et introduit une notion de temporalité et induit également une narration.
A. K. : Vous faites un travail atmosphérique comme celui de Hans Hartung ?
N.D. : J’apprécie beaucoup l’œuvre de Hans Hartung. C’est un artiste majeur pour moi. Il a su créer un langage visuel innovant.
A. K. : Votre travail est le fruit d’une longue patience…
N.D. : Dans mes peintures, je pars toujours d’un fond noir mat sur laquelle je viens déposer des couches successives de peinture très diluée. Ma difficulté, c’est de monter en lumière sur cette surface tout en mettant un minimum d’épaisseur pour rendre cette peinture atmosphérique. C’est une matière proche d’une image projetée de cinéma.