Il est des artistes comme des danseurs, des musiciens, des sportifs. Qui se passionnent et explorent leurs possibilités, leurs dons. Jusqu’au bout. Morgan Courtois est de ceux-là. De ceux qui vous font voir avec grâce. Vivre avec palpitation. Développer les sens à la folie. Couleurs, odeurs, sons, n’auront bientôt plus de secrets pour le jeune artiste qui par le désir et l’excès, emporte dans les forces affectives et instables, désorganisées qui traversent notre monde. Son univers est composé d’objets entassés, éparpillés, désordonnés. Mais ce sont des fleurs et des parfums, pour l’émotion et le souvenir. C’est toujours entre le beau et le laid, entre la simplicité et le baroque, entre la séduction et le rejet, entre la vie et la mort. Entre. C’est à la Fondation Pernod-Ricard et nulle part ailleurs.
D’où vient le titre de l’exposition, Décharge ?
Ce titre m’est venu en préparant l’installation de la première salle qui est une introduction à la deuxième, un passage conçu comme un couloir à partir d’accumulation d’objets. L’accumulation m’intéresse beaucoup, tout comme l’excès, les formes baroques, le carnage… Tout ce registre s’est arrêté sur le mot décharge, pour la polysémie du terme. La décharge comme amas, comme des choses qui s’entassent les unes sur les autres, un surplus qui déborde. Elle est à la fois un paysage, un endroit, mais aussi un état affectif lié à l’intériorité.
Comment avez-vous conçu l’installation ?
Cette première salle est composée d’environ huit cent porcelaines avec un corpus de quatre vingt dix formes différentes qui sont des répliques de ma collection de récipients, vases, shampoings, parfums, médicaments… J’aime ces bouteilles pour la beauté de leur design, pour leur rôle de catalyseur dans des événements personnels importants – le vin d’un dîner romantique par exemple, le parfum d’un être cher ou le stupéfiant consommé lors d’une nuit d’ivresse. J’ai réalisé ces premières porcelaines lors de ma résidence à la Rijksakademie d’Amsterdam qui, avec son très grand four, m’a permis d’en produire beaucoup. Cuites à très hautes températures, les formes se déforment, s’étirent, multipliant les imperfections, ce qui donne des répliques d’objets bien différentes des originaux. Dans cette exposition, elles se sont parées d’émaux cristallins particuliers – un blanc lustré qui irradie ou encore des coulures de riches nuances de bleu et de vert.
Vous développez la notion de passage ?
Oui, cette première installation s’intitule « Passage des cygnes ». De nombreux cygnes en porcelaine flottent, en effet, dans l’exposition et ont largement dépassé leur fonction d’arrosoir. Puis la notion de passage, car il y a cette idée de traverser, d’aller d’un autre endroit à un autre. Avec la pensée d’un passage commercial également, du à tous ces objets de consommation.
Vous présentez des installations de fleurs…
J’ai été cherché les fleurs de l’installation à Rungis le jour du vernissage. J’ai choisi une gamme chromatique proche de l’irisation d’une flaque de pétrole. Depuis, les couleurs se sont assombries. Le but, ici, est de ne rien toucher, de tout laisser se transformer jusqu’à la fin de l’exposition pour que l’on rejoigne ce terme de décharge. J’ai choisi des fleurs coupées et des fleurs en bulbe, pour qu’il y ait toujours une floraison. Je cherche aussi à donner l’impression, avec les teintes, que les fleurs coulent sur les vases. Ma volonté est de montrer le cours des choses. L’ordre et le désordre. Les fleurs induisent une durée comme le parfum induit un temps, une narration. J’aime leur symbole de célébration aussi. Je pense peut-être utiliser, par la suite, après cette exposition, les fleurs séchées dans une autre installation.
Quelles sont vos recherches ?
J’ai des notions de botanique et j’ai travaillé comme jardinier. J’ai vécu à Amsterdam… C’est à partir de ce séjour que j’ai commencé ma collection et fait un travail de mémoire, un cimetière de souvenirs, de sensations, d’émotions. Les cimetières sont des endroits que je traverse en y trouvant beaucoup de beauté. Et de décharge de formes.
Vous utilisez aussi les parfums ?
Oui, je les marie aussi. Le fait de travailler avec des fleurs et des parfums permet d’introduire une notion d’instabilité. Les fleurs s’affaissent, les parfums disparaissent.
Quelle est l’importance des parfums dans vos créations ?
Les deux installations ont cette dimension olfactive. Ce sont des parfums que j’ai inventé. Dans la première, j’ai intégré des odeurs d’essences de tubéreuses, d’urine, de cigarettes… Dans la seconde, j’ai crée des parfums assez corporels, construits autour de la transpiration avec un aspect fleuri. Je m’intéresse à ces sortes de moments de gloire qui retombent, comme la fleur qui s’épanouit puis se fane. Il y a ce mouvement-là, qui traverse plusieurs formes et que je documente à travers les photographies que je prends. Malheureusement, les odeurs partent rapidement. Il y a du coup aussi une tension entre l’ordre et le désordre qui est très important dans les formes que je produis.
Vous présentez aussi de très grands plâtres blancs.
Ces sculptures apparaissent comme des corps agrandis. Pour les réaliser, je photographie des personnes nues dans mon atelier, parfois dans des positions compliquées, puis je les agrandis pour que la forme devienne plus abstraite. C’est tout un autre registre. Il y a là une épaule, ici une hanche…. Je travaille énormément en modelant. Si vous regardez bien, vous voyez les traces ou le travail de lissage.
Vous aimez les matières ?
La matière s’exprime. Elle est vive. Elle a toujours été importante pour moi. Dans l’exposition, vous trouvez de l’acier, de la porcelaine, du plâtre, du parfum, des fleurs… Mes pièces ressemblent à des assemblages, des collages, des mixages de vases, de plastique, de verre…
Dans la seconde salle, les oeuvres sont agencées sur des meubles …
Oui, les meubles sont des répliques. De ma table, de mon bureau… Ce ne sont pas des répliques fidèles. Ce sont des volumes qui renvoient à une dimension plus domestique des objets, qui n’est pas celle d’une socle blanc donnant l’impression de ne pas exister. Ce sont presque des hallucinations d’objets familiers.
Quelle est l’importance des tables ?
Les tables sont totalement baroques, encombrées de cygnes en céramique, de grandes sculptures en plâtre et de bouquets de fleurs. J’ai réalisé des surfaces réfléchissantes pour que les objets semblent flotter au-dessus de l’eau. Cet effet est accentué grâce à la surface réfléchissante des miroirs placés sur les tables. J’utilise le pétrole pour traiter l’irisation. C’est très beau et en même temps sale, c’est la pollution. Et même dans la pollution il y a des moments de beauté. Il faut le montrer.