Deux expositions majeures retracent l’oeuvre de Martin Margiela alors qu’il vient d’attendre seulement ses 60 ans. Une rétrospective au musée Galliera et les années qu’il a consacré à la maison Hermès au musée des Arts Décoratifs. Alexandre Samson pour le premier et Marie-Sophie Caron de la Carrière de l’autre, passionnées par ce révolutionnaire discret, ont travaillé avec le créateur maître d’une décontruction postromantique.
Martin Margiela ? Un nom qui représente l’une des plus grandes et belle révolution dans le vêtement des années 1980. L’aîné des « six d’Anvers », à peine diplômé de l’Académie Royale, part en Italie et se forme au talent et à l’artisanat dans lequel il excelle chez les fabricants milanais. Pour encore parfaire sa connaissance ? Le voilà décidé à entrer chez le talentueux Jean-Paul Gaultier au point de faire un sitting chez « l’enfant terrible « de la mode française. Son entêtement gagne devient assistant pendant trois ans. Il apprend le mélange des couleurs, une certaine décontraction et la reconstruction des vêtements dont il fera sa signature.
Martin Margiela ? C’est encore une personnalité hors norme ou tout simplement profondément humaine qui se cache des médias pour protéger sa vie privée. Un passionné, qui depuis les années 1970 fréquente le musée Galliera et en retient toutes les silhouettes. Un féru d’histoire de la mode qui ne cesse de comprendre le vêtement dans sa construction et ses moindres détails de fabrication. Il assiste à tous les défilés des créateurs japonais comme Rey Kawabuko et s’inspire de ce « non fini » qu’il pousse au paroxysme avec l’effiloché. Martin Margiela regarde pour mieux apprendre et trouver sa voie. Aller encore et toujours plus loin.
Et ce sera chose faite en 1989, l’année où il lance sa marque Maison Martin Margiela à Paris. Et dès cette date, celle du début de l’exposition, en se donnant des allures d’iconoclastes pourtant féru d’histoire et de culture, il fait défiler ses mannequins dans de lieux totalement improbables comme un terrain vague qui bouscule tout le milieu de la mode habitué aux salons ou au tout nouveau Carroussel du Louvre. Dès cette date aussi, le créateur a mis en place tous les codes de sa carrière. La savoir incroyable du tailleur qu’il déclinera sous toutes ses formes. Le trompe l’oeil instauré par le maquillage et les tatouages ethniques sur des résines transparentes bien avant Jean-Paul Gaultier et Issey Miyake. Ce goût raffiné pour le passé avec l’utilisation de pièces anciennes. Et bien sûr la création d’une nouvelle carrure de mode à la manière des plus grands comme Chanel et Balenciaga. La sienne ? A l’opposé des énormes épaules des années 1980 à la Claude Montana ou Thierry Mugler, une veste noire aux épaules étroites et à la forme cigarette ! Martin Margiela reste aussi le premier créateur à avoir retiré l’aspect neuf des vêtements en les lavants lorsqu’ils étaient terminés. Pour garder la trace du corps, celle du temps qui passe et permettre de mieux se projeter dans le futur.
« L’exposition dévoile 130 silhouettes dans une mise en scène du musée en déconstruction. Sur 41 collections nous en présentons 32, explique Alexandre Samson, responsable des collections contemporaines. Des cimaises, des podiums, des échafaudages et des vitrines ont été transformés, le sol du musée totalement recouvert…. Nous avons voulu rendre hommage aux collectionneurs, aux clientes, avec entre autre trois chambres de femmes et des intérieurs de collectionneurs japonais de pièces de Margiela avec le photographe Kiocho Suzuki ». Et le visiteur de découvrir ses collections. Avec le pull chaussette, le noir et blanc, Barbie, Stockman, Edredon, Oversize, Capuche… Alexandre Samson et Martin Margiela ont décidé de finir la rétrospective par une dernière salle majeure consacrée aux moments les plus forts de ces 20 ans de création jusqu’en 2009. Martin Margiela ou la féminité réinventée. A.K.
Marie Sophie Caron de la Carrière a fait entrer les silhouettes de Martin Margiela dès 1989 dans les collections du Palais Galliera. Véritable visionnaire, c’est donc à cette historienne du costume que Pierre-Alexis Dumas a proposé de réaliser l’exposition consacrée aux années Hermès.
Comment avait vous rencontré Martin Margiela ?
A mes débuts, les musées de la mode avaient une vision tournée vers le costume alors que je regardais ce qui se passait sur le terrain. A ma rencontre avec Martin Margiela, j’ai eu un flash professionnel. Je me suis dis, ce sont ces vêtements qu’il faut faire entrer au musée. Pendant les 7 ans de mon activité, nous achetions une tenue complète et il en donnait une autre. Ma mission était de faire entrer ce type de patrimoine et de prouver que l’esthétique de la mode n’est pas inerte.
Pourquoi Jean-Louis Dumas a fait appel à Martin Margiela ?
1997 marque le moment où les grandes maison de luxe qui ont un autre métier à l’origine comme la sellerie chez Hermes, développent le prêt à porter et la mode, alors encore très confidentiel. La fille de Jean-Louis Dumas, Sandrine, défilait pour Margiela et a fait le relais avec son père. Jean-Louis Dumas a appelé Martin Margiela car c’est un amoureux fou du savoir faire, de l’artisanat, de l’histoire du costume et du vêtement. Au sein de la maison cela a été une onde de choc.
Quel a été le travail de Margiela ?
Margiela a interrogé la griffe, les accessoires, les montres… Hermes lui a proposé un autre rythme que celui effréné de la mode. Son but était de construire une garde robe avec des éléments qui se rajoutent et s’articulent dans le temps. Il a inventé une silhouette permanente où ce sont les détails qui font la différence. Ce sont ces nuances qui font le luxe, comme la cloche de la clé du sac traditionnel qui s’accroche autour du coup, faire d’un bouton un logo discret, mettre le corps en valeur tout en le rendant anonyme.
Que présentez-vous à l’exposition ?
Le visiteur découvre deux styles distincts qui amorcent un dialogue passionnant entre les vêtements que Margiela a créés pour Hermès entre 1997 et 2003, et ceux qu’il a réalisés pour sa propre Maison. L’ensemble se déroule dans une succession de séquences thématiques de plus de 100 silhouettes, de photographies et de vidéos selon un parcours où se répondent l’orange de la maison Hermès et le blanc de la Maison Martin Margiela.
MARGIELA / GALLIERA, 1989-2009
Palais Galliera Musée de la Mode de la Ville de Paris
10, Avenue Pierre Ier de Serbie. 16è.
Tél : 01 56 52 86 00
Du 3 mars au 15 juillet.
MARGIELA, LES ANNÉES HERMÈS
Les Arts Décoratifs
107, rue de Rivoli. 1er.
Tél. : 01 44 55 57 50
Du 22 mars au 2 septembre 2018