Marcin Sobolev. Free style.
Texte de préface Anne Kerner (critique d’art AICA) pour l’exposition « Brooklin by the sea ».
« Il y a quelques années je suis allé à New York. Ma grand mère Nina était encore en vie et m’avait dit, « il parait qu’il y a un quartier russe à New York et cela me plairait que tu ailles voir comment nos compatriotes vivent la bas. Je me suis retrouvé à Coney Island ».
Marcin Sobolev rocke, rappe, break avec la toile, le bois ou la céramique. En free style. Avec tout ce qu’il met à portée de sa main. Le geste est le même, souple et sûr. Aussi bien quand il enlève sa parka arrivé à l’atelier l’hiver que lorsqu’il monte une sculpture minutieuse ou bombe le mur d’un immeuble l’été. Mais la main touche rarement la casquette rivée sur sa tête. Car sous son allure de grand costaud, l’artiste reste timide. Ce fils des terres d’Asie Centrale, descendant de Baba Yaga et d’Ivan le Terrible, né au coeur du coeur de l’Europe, à Bruxelles, cache son oeil vif mais porte le sourire comme une étendard. Un drapeau blanc. Sa vie, son oeuvre, c’est du pareil au même. Cà raconte, partage, échange et aime avec passion. Tout a commencé par un déménagement, quand le lycéen change de quartier et se retrouve entouré de camarades de nationalités et de religions plurielles. Tout se poursuit grâce à sa mère et sa grand-mère russe vénérée dont le portrait est accroché sur le mur de l’atelier. Nina lui racontera toujours un pays qui n’existe plus. Parti en quête de ses origines, après dix ans de confrontation avec son lointain intérieur et des études d’ébénisterie, son rêve se réalise. Graffeur, il tague trains et portes, voyage et devient artiste, comme ses amis. Une première escapade à Barcelone. Puis la Pologne, la Russie, la Géorgie, l’Ukraine… enfin New York.
« J’aimerai montrer dans ma démarche artistique qu’il faut voyager. On ne peut jamais se faire d’avis sur un peuple, des gens, sans les rencontrer. Il faut aller partout. Se rendre compte par soi même ».
Marcin Sobolev dessine, peint, sculpte. Et invente une oeuvre qui révèle immédiatement une nature d’artiste exceptionnel. S’il flirte avec les maîtres, s’approche parfois du réalisme exigeant d’un Douanier Rousseau et libère quelques signes figuratifs comme l’a fait Miro à ses débuts, il se laisse plutôt emporter comme l’artiste catalan par son tempérament slave. Sa personnalité doit trop à ses racines et aux démons subtils qui les gouvernent. A ce melting pot d’hier et d’aujourd’hui qui brasse dans ses oeuvres avec un bonheur inouï le proche et le lointain, les préoccupations urbaines et écologiques, l’exclusion sociale et la vie de quartier, la culture populaire et le folklore. L’Homme. La Nature. Et toutes ces petites histoires qui ne disent rien d’autre que la grande Histoire. Ici, pas de violence. Pas de cri ni de hurlements. Son génie est ailleurs. A l’écart des conflits, loin du débat orageux de l’homme avec son double. Car Sobolev invite dans chacune de ses oeuvres aux compositions parfaitement maîtrisées, éclatantes de fraicheur, à participer aux premiers instants de la fête.
« A Manhattan, j’ai pris le métro pendant une heure et demi et quand je suis sorti de la station, j’étais en Russie. Cela m’a fait rigoler car il y avait une plage et de grandes attractions. Tout ressemblait à l’ex-union soviétique ».
L’artiste tient dans ses mains la toile qui a donnée l’impulsion à l’exposition. C‘est le portrait du célèbre performer américain des années 1970, Discoe Freddy. « C’était alors le début de la break dance à New York qui rappelait aux émigrés les traditions cosaques et juives », raconte l’artiste. Marcin Sobolev l’a dessiné les yeux bandés, la radio dans les mains et une couronne solaire au-dessus de sa tête. Le visiteur découvre donc Coney Island à la pointe de Brooklyn, la célèbre Little Odessa et ses effluves d’ex-Union Soviétique. Tout est là sur les toiles. Ce quartier étrange, les odeurs de pirojki, les églises orthodoxes. La poussière et le métro aérien. Les faux palmiers, la fête foraine avec ses ballons et ses guirlandes le long de la plage. Encore un balcon avec un chapelet de pastèques. Et beaucoup, oui beaucoup de poussière, rendue merveilleusement par l’artiste grâce à l’utilisation de fumée colorée. Des aplats impeccables, un dessin net, une composition libre et imaginative, un bombage précieux, jonglent avec le lyrisme oriental. Marcin Sobolev shématise, géométrise, symbolise, divise, compose, il quadrille même souvent la surface. Mais sur cet espace qui le rassure, c’est aux hallucinations et aux fantasmes du désir et de l’humour qu’il ouvre la cage. Et toujours, la douce main de Nina guide celle de Marcin.
« Ma première recherche quand je travaille ce sont les couleurs. Si je faisais mes dessins en noir et blanc je n’arriverais pas à faire passer de message. La brutalité, la violence, je la garde pour moi ».
Ni noirceur, ni violence donc, encore moins de danger dans les banlieues, les cités et les blocs où Sobolev a grandi et qu’il aime retrouver dans ses pérégrinations dans les orients proches et lointains. Bien au contraire. Leur banalité cache une sensibilité secrète, leur dureté des liens insoupçonnés. « Je rend les architectures moroses colorées car il y a, dans ces endroits, quelque chose de magique avec énormément de vie ». Ici, l’artiste connait l’entraide, la fraternité, la solidarité. La convivialité. Ces émotions des choses de la vie, ces ondes positives qu’il reçoit et restitue. Démultipliées. Car dans ses oeuvres, Marcin Sobolev raconte un tableau comme on lit une histoire. Chaque toile, chaque sculpture rassemble des codes que lui seul connait, comme ces oiseaux tatoués sur les mains des condamnés d’une prison de Saint-Pertersbourg. «J’utilise tous les symboles populaires, j’achète aussi toujours de la peinture et des petits objets. Je chine. A chaque fois c’est une une vraie recherche dans tous les pays que je traverse ». De toile en sculpture, au coeur de Coney island, Marcin Sobolev trouve, maintient et libère les liens immuables et les attaches nourricières. Le coeur bat. Vite. Les symboles de son vocabulaire flirtent et se lovent. Nul doute, Marcin Sobolev ouvre un nouveau passage où les traces de tous puissent s’inscrire.