Devenu incontournable, le festival Circulation(S) invite la jeune scène européenne dans la capitale et crée l’effervescence. L’occasion de parcourir les expositions de photographies parisiennes ! Paris Capitale a concocté pour vous deux promenades. La première, à la découverte de figures féminines exceptionnelles et engagées, la seconde, à pénétrer l’univers du photo-reportage.
Le festival de jeune photographie européenne, Circulation(s), est devenu l’un des événements parisiens du printemps. Il revient pour sa 14e édition, riche en découvertes, en évènements, en workshop et nombreux temps forts. Le Centquatre l’accueille pendant deux mois avec une vingtaine de jeunes talents venus de toute l’Europe. Depuis 2019, il réalise un focus sur une scène émergente particulière. Dédiés à la Roumanie, la Biélorussie, au Portugal, à l’Arménie et la Bulgarie, l’édition 2024 met en avant l’Ukraine et sa scène artistique émergente. Ils sont quatre. Quatre artistes invités, Maryna Brodovska, Lisa Burkeyeva, Yehveniia Laptii et Dima Tolkachov.
Le féminin pluriel.
Quand Irvin Penn la rencontre lors d’un shooting photo pour le magazine Vogue, c’est le coup de foudre ! Lisa Fonssagrives (Mep) est déjà une star des podiums. Danseuse, mannequin, photographe, styliste et sculptrice, elle est considérée comme le premier « top model » de l’histoire. Plus de 170 tirages, rassemblés par son fils, issus du sa collection personnelle, célèbrent son parcours exceptionnel. Et les photographes de s’amuser aux métamorphoses ! Fonssagrives l’imagine en aviatrice, Hoyningen-Huene la transforme en Madame de Staël, tandis que Blumenfeld l’immortalise suspendue à la Tour Eiffel. Mais c’est sûrement le regard passionné de son photographe de mari, Irving Penn avec qui elle collabore pour la fabrication des tirages, qui magnifie ses traits délicats et sa silhouette unique. Autre muse, autre femme libre à la beauté et au talent incontestable, Tina Modotti (Jeu de Paume) se fait vite remarquer pour ses qualités de photographe. Initiée en 1921 par Edward Weston au formalisme, elle s’émancipe et « ne cherche pas à produire de l’art mais des photographies honnêtes sans avoir recours à des trucages ou à des artifices». Débarquée au Mexique en 1923, amie de Frida Kahlo, cette instigatrice du photo-journalisme dénonce la situation des classes les plus défavorisées en faisant le portrait du peuple mexicain. Engagée politiquement, la voilà devenue l’oeil de la révolution. Redécouverte depuis les années 1970, cette exposition rétrospective révèle enfin son regard précurseur mais aussi sa puissante singularité.
Un siècle plus part, Marine Peixoto, quatrième lauréate du Prix Le Bal/Adagp de la Jeune Création, pose toujours les mêmes interrogations. Avec son projet « Bercy Street Workout », elle articule les enjeux sociétaux et esthétiques d’aujourd’hui autour de l’être humain. Sur le terrain de sport de Bercy, sa pratique s’intensifie. Elle traque le muscle, la transpiration, l’énergie. Et photographie au rythme des cadences des sportifs qu’elle shoote. Son travail devient exploit et épuisement, épuisement d’un lieu, mais aussi de son regard. (Le Bal). La photographe allemande Henrike Stahl, deuxième artiste invitée à la résidence INSTANTS par Château Palmer et Leica, se passionne, de son côté, pour la marge, l’entre-deux, les idées en transition. Dans des images bienveillantes à la palette enjouée, elle transmet, au fil des mois, le travail vigneron avec une sensibilité complice. Son désir ? «Transmettre une note d’espoir aux générations futures ». Le même regard aiguisé sur l’invisibilité motive Bertille Bak. (Jeu de Paume). L’artiste s’immerge dans les communautés de personnes oubliées, effacées, écartées, par la société et apprend leurs coutumes, se fond dans leur quotidien. De cette cohabitation naissent des récits fictionnels, des images sensibles, drôles, poétiques qui dévoilent les violences dont sont victimes ces populations marginalisées. C’est le regard incisif d’une immense écrivaine que l’on ressent encore à la Mep. « La ressemblance entre la photographie et mon intention d’écrire, c’est de capter l’instant en sachant qu’il est éphémère », confie Annie Ernaux. L’exposition « Extérieurs – Annie Ernaux & la Photographie », s’appuie sur le regard de Lou Stoppard. La commissaire et écrivaine a tissé un lien entre des textes tirés du livre de la Prix Nobel de littérature, « Le journal du dehors » (1993) et des photographies issues des collections de la Mep. Promenez vous dans les salles et croisez une femme dans le métro, une maman et son bébé dans un immeuble de banlieue, un serveur de café, des images qui dressent un portrait de la banalité de la vie moderne. Soit « les signes d’une réalité ».
L’image pour vivre.
Le regard affûté sur l’actualité envahit les cimaises comme un cri de résistance pour la liberté. Direction l’Ukraine d’abord avec l’exposition « Ukraine, vision(s) » (Gaîté Lyrique). Ils sont journalistes, réalisateurs, artistes, de l’agence MYOP et six écrivains membres de PEN Ukraine. Dans la même synergie, ils tissent une trame narrative visuelle et textuelle qui défie le silence et l’obscurité imposés par la guerre. Et proposent un art de la résistance. Patiemment, en témoins des évènements, ils recueillent d’infimes fragments de sens, collectent des bribes d’histoires en lambeaux, recueillent des vies déjà sous les décombres. Leur conviction ? Croire toujours à la capacité des images et des mots comme objets d’un sauvetage possible. Direction les Etats-Unis ensuite. Suivez le regard de l’immense photographe Andres Serrano braqué sur une société schizophrène dont Donald Trump est devenu à la fois le symptôme et l’emblème. Au moment même où se préparent les élections, les 89 images de ce maître du portrait, livrent une Amérique emportée par la religion, le sexe et la violence, engagée dans une bataille cruciale pour son avenir. (Musée Maillol).
Ce désir sans fin des artistes d’éduquer le spectateur pour éviter de nouvelles tragédies et changer le monde, naît suite à la seconde guerre mondiale, avec le travail des photo-reporters. La galerie Rouge présente une partie de ce courant avec une exposition historique. Elle dévoile les clichés de Cornell et Robert Capa ou David Seymour dénonçant une réalité sociale alors que d’autres, appelés les « humanistes » comme Édouard Boubat, le « Prévert de l’image » s’attachent à la beauté du monde. Enfin, dans cette même après-guerre, l’américain Weegee, proche des photographes indépendants de la Photo League, croit également fermement en l’émancipation par l’image et milite pour la justice sociale. Pendant 10 ans, branché sur la radio de la police, Weegee saisit, principalement la nuit, les crimes, arrestations, incendies, accidents et autres faits divers. (FHCB). Le lien entre ces deux parcours et toutes ces visions de la photographie qui ont marqué le 20è siècle ? Croire à la puissance des images et en l’être humain. Pour vivre. Survivre. Etre libre.
Circulation(S). CENTQUATRE-PARIS, 5 Rue Curial, 19è. Tarif : 6€. www.festival-circulations.com. Jusqu’au 2 juin.
Bertille Bak, Tina Modotti, Jeu de Paume, 1, place de la Concorde, Jardin des Tuileries Paris 1er. www.jeudepaume.org. Jusqu’au 12 mai.
Wegee, autopsie du spectacle, Fondation Henri Cartier-Bresson, 79 rue des Archives, 3è, www.henricartierbresson.org. Jusqu’au 19 mai.
Henrike Stahl – Résidence INSTANTS Château Palmer & Leica, Leica Store Paris Village Royal, 26 rue Boissy d’Anglas, 8è. Jusqu’au 22 juin.
Ukraine, vision(s). Photographie documentaire et littérature en résistance. Gaîté Lyrique. 3 Rue Papin, 2è. www.gaite-lyrique.net. Jusqu’au 9 juin.
Lisa Fonssagrives-Penn, Icône de mode. Annie Ernaux, Maison européenne de la photographie, 7 Rue de Fourcy, 4è. Tarif : 9€. www.mep-fr.org.
La photographie humaniste, La Galerie Rouge, 3, rue du Pont Louis-Philippe, 4è. www.lagalerierouge.com. Jusqu’au 11 mai.
Andres Serrano, Portraits de l’Amérique, Musée Maillol, 59-61 rue de Grenelle, 7è. www.museemaillol.com. Jusqu’au 20 octobre.