L’Amérique d’Andres Serrano,Paris, Musée Maillol. Jusqu’au 20 octobre 2024. Interview Anne Kerner.

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L’Amérique d’Andres Serrano,Paris, Musée Maillol. Jusqu’au 20 octobre 2024. Interview Anne Kerner.

Au musée Maillol, l’un des plus grands photographes d’aujourd’hui, le virtuose inclassable qu’est Andres Serrano, dresse le portrait de l’Amérique contemporaine en quatre vingt photographies et un film. La religion, le sexe, la pauvreté, la question raciale, la mort… Tout y passe. « Je ne suis pas un photographe mais un artiste qui a préféré utiliser un appareil photo plutôt que des pinceaux », confie-t-il. D’ascendant hispanique, formé à Brooklyn, Serrano participe d’une culture et d’une sensibilité new-yorkaises. Et se situe d’emblée à la marge d’un système dont il se veut le produit tout en révélant les conformismes. En pleine élection présidentielle aux Etats-Unis, entretien avec cet élégant fils de l’Amérique, habillé en Yohji Yamamoto, dont l’œuvre est un gigantesque autoportrait. 

 

Pensez-vous que les français et les européens se rendent compte de ce qu’est l’Amérique aujourd’hui, cette « Amérique des marges, des laissés-pour-compte » ? 

Les français et les européens ont une bonne compréhension de l’Amérique car ils la voient de l’extérieur. Dans mon travail, j’ai toujours eu ces deux approches : comme quelqu’un à l’intérieur mais aussi comme quelqu’un qui se trouverait à l’extérieur. Cela me permet d’avoir deux points de vue. Par ailleurs, je pense que mon travail a été bien plus apprécié en Europe qu’aux États-Unis. J’ai été exposé dans une vingtaine de musées dans le monde et un seul aux États-Unis. Je fais partie de ces artistes américains comme de nombreux écrivains noirs, musiciens ou jazzmen qui ont été plus appréciés en Europe que dans leur propre pays. L’Europe les a reconnus pour ce qu’ils étaient avant même leur pays d’origine. Ainsi, je suis heureux d’être un produit de ma société et de représenter l’Amérique en Europe. 

 

Quelles sont vos influences dans l’art ? 

La plus grande influence dans mon travail est apparue avant même d’aller en école d’art. Quand j’étais au lycée, j’ai découvert Marcel Duchamp. Il part du postulat que tout, incluant la photographie, peut être une œuvre d’art. Je pense donc que tout part de Duchamp. Après, on peut regarder certains artistes pour leur sens esthétique ou leur confort spirituel.  Ma « Bible », c’est Marcel Duchamp.

 

Quels sont les thèmes de vos œuvres ? 

La « race », la religion, la mort, les sans-abris, les armes, le racisme, toutes ces choses que je connais dans un perspective américaine, existent ailleurs, excepté peut-être le Ku Klux Klan et les armes à feu. En Europe, il est inconcevable de se promener avec des armes à feu mais aux États-Unis de nombreuses personnes en possèdent et tiennent à ce droit. Ces choses-là font des États-Unis un pays unique. 

 

Vous dénoncez l’inhumanité de l’homme envers l’homme ? 

Oui, le fil conducteur de mon travail pourrait être la violence ou l’inhumanité de l’homme. Je ne cherche pas à être controversé ou à faire quelque chose de sensationnel, mais j’ai du mal a faire des œuvres qui n’ont pas en elles, une certaine violence. Cela m’arrive de prendre une jolie photographie, mais si je ne prenais que de belles photographies, j’aurais probablement un problème avec moi-même. Je ferai un travail esthétiquement plaisant, donc limité. Mon œuvre ressemble à un couteau à double tranchant.  

 

Parlez-nous de votre travail de collectionneur ? A-t-il une influence sur votre travail ? 

Je collectionne pour deux raisons différentes. J’aime collectionner des choses pour la décoration de ma maison et j’achète aussi d’autres objets à des fins illustratives. D’une part, je collectionne des œuvres de la Renaissance ou du Moyen Âge. Je collectionne des peintures, des sculptures, des meubles de la Renaissance, j’ai des madones du XIIIe et XIVe siècle. D’autre part, quand je fais une exposition, j’achète une collection pour l’utiliser comme inspiration… Quand je réalise une exposition « intimiste », j’achète beaucoup de choses sur eBay, non pas pour les posséder, mais pour les utiliser pendant un certain temps. Il s’agit par exemple d’objets de nature très raciste qui m’inspirent dans la série que j’ai créée.

 

Pouvez-vous nous parler de votre pratique du portrait. Pourquoi travailler sur le portrait ? Où cherchez-vous vos modèles ? 

Cela dépend du travail. Lorsque je réalisais « America and the American Theories », j’ai photographié des gens de tous horizons. J’ai commencé avec les symboles du 11 septembre, car c’était une réaction à cet événement. J’ai commencé à prendre des photos de soldats, de pompiers… Ensuite, j’ai photographié des clients, des gens ordinaires, toutes sortes de personnes, des gens de la classe moyenne, des travailleurs, des personnes riches et plus tard, des célébrités. 

Dans le cas d’une commande pour un magazine comme le New York Times ou le New Yorker, les journaux me fournissent le modèle. Parfois quand on me demande si je réalise des portraits, je réponds que non, car je considère que tout mon travail est un autoportrait.  Lorsque je prends des photos de personnes, peu importe qui elles sont, je ne les juge pas, j’essaie juste de les rendre belles. J’essaie aussi de les rendre plus grandes que nature… J’essaie de les monumentaliser avant tout. C’est ainsi que je fais mes portraits. 

 

Qu’est-ce qu’une bonne image pour vous ?

Pour moi, la meilleure photo est celle qui représente l’essence de l’être humain, de la personne que je photographie. J’utilise un type de film instantané pour tester les zones correctes, les conditions, pour que je puisse changer quelque chose dans la configuration.

 

Votre exposition a lieu au moment des élections présidentielles aux Etats-Unis. Je pense que ce n’est pas un hasard non plus ? 

Je suis ravi que de nombreux sujets que j’ai photographiés pendant des années ont une présence durable dans le temps. Lorsque je photographie le Ku Klux Klan, je sais que c’est un thème éternel. La religion, le sexe, tout mon travail est dans un certain sens durable. Évidemment, quand j’ai photographié Donald Trump en 2004, je ne savais pas qu’il allait devenir président des États-Unis. Il représente une personnalité parmi la centaine de personnes que j’ai photographiées, et qui représentent ma vision de l’Amérique. Nous en avions fini avec Donald Trump ,il y a quatre ans, mais aujourd’hui il est de retour et il a selon toutes les indications de grandes chances de devenir à nouveau président des États-Unis, ce qui inquiète de nombreux européens. Je suis donc ravi que mon travail résonne encore avec l’actualité, des décennies après l’avoir créé. 

 

Avons-nous encore une idée idéale de l’Amérique ?

Je suis né à New York et quand j’étais enfant, j’ai toujours pensé que les États-Unis étaient les gendarmes du monde. Je ne suis pas sûr qu’aujourd’hui, beaucoup de personnes seraient d’accord avec cela, pas même aux États-Unis. Je pense que nous avons perdu cette vision idéalisée d’être une autorité morale dans le monde. 

Musée Maillol, 59-61, rue de Grenelle, 75007 Paris. www.museemaillol.com