L’exposition Haute Dentelle illustre la place de la dentelle tissée sur métier Leavers dans la mode ultra contemporaine. Les couturiers élisent, au service de leur style, cette haute exigeance. L’exposition souligne comment ils expriment cette matière d’exception familière et pourtant méconnue. La dentelle, tissu d’excellence, dialogue avec la haute couture.
La Cité de la dentelle et de la mode de Calais est l’un des rares musées français à présenter régulièrement des expositions de mode. Les succès des précédentes expositions consacrées aux illustres couturiers Cristóbal Balenciaga ou Hubert de Givenchy, tout comme les créateurs contemporains Iris van Herpen ou Anne Valérie Hash, placent le musée sur la scène des institutions de mode européennes de renom. Et par le biais de la mode, c’est la dentelle que le public découvre.
Le musée mène une politique ambitieuse d’expositions inédites, conçues par des commissaires scienti ques spécialistes de la mode, qui relient le musée aux domaines artistiques et économiques. Si les expositions sont des moments privilégiés d’étude des collections, de publications d’ouvrages de référence, et, par un e et vertueux, de mise en lumière des œuvres présentées dans les autres galeries du musée, elles ne peuvent être dédiées exclusivement à la dentelle.
Aussi l’exposition Haute Dentelle était attendue. Telle une photographie instantanée, elle porte son regard sur les usages contemporains de la dentelle dans l’excellence
en mode, à savoir la haute couture et le prêt-à-porter de luxe. Quatorze maisons de la scène française et internationale ont été sélectionnées pour leur pertinence et leur diversité. La présentation montre comment les couturiers font de la dentelle tissée matière à ré exion : qu’ils superposent et agglomèrent, qu’ils découpent et accolent… Haute Dentelle met en lumière les métamorphoses incarnées de ces dentelles devenues sculptures mouvantes.
Ce sont aussi les savoir-faire actuels des manufactures françaises de dentelles qui se révèlent. Plus que jamais, les dentelliers font de leur patrimoine un laboratoire de recherche et une source de création. La créativité se place à plusieurs niveaux, de la conception à la finition en passant par le tissage : motif, composition, teinture et autres ennoblissements. Tout peut faire objet de recréation. Tradition et innovation, termes souvent usités, prennent ici tout leur sens.
La dentelle, des mains aux machines
De tous les textiles, la dentelle est la seule d’origine européenne. La dentelle à la main est apparue en Europe au xVie siècle dans les Flandres et dans le nord
de l’Italie et a depuis lors, et pour les pièces les plus élaborées, conservé le statut de luxueux tissu ornemental, ayant pour fonction principale d’embellir fastueusement
les tenues des plus fortunés. La dentelle est un textile dont le support comme le motif sont ajourés. Deux techniques ont été mises au point : la « dentelle à l’aiguille »
à l’aide d’un parchemin, d’une aiguille d’une part, et la « dentelle aux fuseaux » à l’aide d’un jeu de bobines et d’un carreau comme support d’autre part.
La dentelle est alors autant appréciée que coûteuse.
La dentelle fabriquée à Calais depuis près de 200 ans est exclusivement mécanique, mais elle s’est d’abord inspirée de la dentelle à la main avant de s’en affranchir.
Au XIXe siècle, la mécanisation de la production de la dentelle prend son essor en Angleterre, dans la ville de Nottingham, puis en France à Calais, à Gaudry et à Lyon. La mécanisation permet de faciliter la production de la dentelle et d’en répandre l’usage, sans pour autant lui retirer une préciosité certaine. Ces savoir-faire gravitent tous autour du métier à tisser la dentelle, le métier dit « Leavers ».
Au début des années 1950, on compte une cinquantaine de maisons de haute couture et plus de 150 manufactures de dentelle, souvent de très petite taille, sur la seule place de Calais, sans oublier les villes de Caudry et de Lyon, également des places fortes de la production dentellière, notamment pour la robe. Mais avec ses 1390 métiers recensés en 1952 à Calais contre 400 à Caudry ou 360 à Lyon et Saint Quentin, c’est bien cette première qui peut s’enorgueillir d’être la capitale mondiale de la dentelle mécanique. En 1955 apparaît un nouveau produit confectionné sur des métiers à tricoter développés par l’industriel allemand Karl Mayer, la dentelle Raschel. Ce textile, de moindre qualité technique et esthétique et au prix très bas en comparaison avec la dentelle tissée, s’appelle également « dentelle ». Aussi, pour différencier les deux types de production, les professionnels français créent la même année une marque « Dentelle de Calais ».
La présence de la dentelle dans la mode a toujours été uctuante, assujettie aux évolutions des canons esthétiques qui, selon les moments, mettent plus ou moins en honneur ce tissu. Aujourd’hui, il existe un engouement réel pour la dentelle, présente sur les podiums comme dans la rue. Les deux technologies de dentelle tissée et de dentelle tricotée y répondent, mais de façon différente. La première revendique une tradition biséculaire mettant en avant la qualité, la créativité et l’innovation
au service du marché de luxe, alors que la seconde perfectionne incessamment l’outil technique et oriente la production vers des pays à bas salaires afin de produire
une dentelle bon marché.
Aujourd’hui, il semble que les caractéristiques intrinsèques de la dentelle, de la transparence plus ou moins grande, et le motif ne semblent plus combler
la créativité des couturiers et créateurs. Elle subit maintes transformations sous leurs mains, sortant de façon méconnaissable. La dentelle peut être confondue
avec de la broderie et d’autres techniques se rapprochent des aspects esthétiques, si ce n’est tactiles, de la dentelle. Aussi, c’est plutôt « l’e et dentelle » qui plaît
et inspire, sans attention particulière aux techniques de production (tissage, tricotage, laser, broderie, impression, 3d). La dentelle sert de source d’inspiration bien au-delà de la mode car cette dernière encourage la création multidisciplinaire en architecture, design d’intérieur, création de mobilier, arts de la table, papeterie, joaillerie ainsi que les artistes plasticiens, bien que cet engouement général n’intéresse que peu aux fabricants de dentelle haut de gamme. Cette dentelle tissée ne représente qu’une minime partie de la consommation de la dentelle dont la vaste majorité est tricotée. La plupart des consommateurs, voire commerçants et professionnels textile aujourd’hui, ne font pas de différence entre les deux dentelles. Peu d’écoles de mode et de design l’enseignent car c’est une matière d’une grande complexité technique, exigeante à travailler et onéreuse. Aussi, les futurs designers et créateurs de mode n’ayant pas pu expérimenter les possibilités d’invention que permet la dentelle haut de gamme durant leur formation ne vont pas spontanément ensuite vers cette dernière. L’enjeu majeur consiste donc à faire découvrir la dentelle tissée aux étudiants, futurs acteurs du milieu de la mode et du design.