Gaëlle Chotard livre dans ses oeuvres cette « insoutenable légèreté de l’être », les frémissements des mystères de la vie. Elle y célèbre les noces inouïes du pigment, de l’eau et du métal. Interview et portrait.
Anne Kerner : Comment avez vous découvert le dessin ?
Gaëlle Chotard : La fulgurance des dessins de grands artistes : les gravures de Rembrandt, les encres de Victor Hugo, de Caspar Friedrich, d’Eva Hesse, les dessins de Joseph Beuys, Louise Bourgeois, Agnes Martin
A. K. : Quelle est votre définition du dessin ?
G. Ch. : La liberté et l’expression d’une intériorité profonde
A. K. : Quelle est votre pratique du dessin ?
G. Ch. : J’explore des taches d’encres, d’aquarelle, déambule à l’intérieur de ces paysages à l’aide de traits fins.
A. K . : Quel est votre nouveau travail ?
G. CH. : Je présente un travail autour de la couleur, des pièces en trames et fils de cuivre et des aquarelles sur papiers, parfois déchirés ou transpercés de fils métalliques. Des paysages intérieurs faits de strates, de superpositions de taches et de lignes.
Sauras-tu jamais ce qui me traverse. Ce qui me bouleverse et qui m’envahit. Sauras-tu jamais ce qui me transperce. Ce que j’ai trahi quand j’ai tressailli », écrit Louis Aragon.
« Mes œuvres expriment des émotions, des paysages, le mystère d’être vivant », confie Gaëlle Chotard qui choisit un superbe texte d’Aragon pour présenter son exposition au Drawing Lab en 2018. Un texte qui lui ressemble. Des mots de poète qui disent l’œuvre. Délicate et fragile. Essentielle et profonde. Survenue du frémissement de l’âme et du corps. Née en 1973 à Montpellier, elle entre aux Beaux-Arts de Paris et choisit le travail du métal. L’artiste a déjà l’esprit et les mains libres. Ni masses, ni formes, ni lourdeur. Au contraire. La jeune plasticienne découvre en 1993, à 20 ans, Eva Hesse au Jeu de Paume. Coup de foudre. Pour une femme dont la première pièce en trois dimensions fut un costume en grillage et jersey. Elle regarde du côté de Pierrette Bloch et ses écritures abstraites de chanvre et de crin. Encore vers ses aînés, soutenues par Suzanne Pagé et Aline Dallier, ces « Nouvelles Pénélope », Hessie, Milvia Maglione et Raymonde Arcier. Elle est l’élève et l’assistante aux Beaux-Arts d’Annette Messager et s’initie à ce que la lauréate du Prix Praemium Impériale 2016, nomme ses merveilleux « bricolages ». Marrainée par autant de fées, tout se met en place. Vite. Le fil métallique et le geste. Souvent répétitif. Minutieux. Comme un long processus sériel. La couture et la maille, le grillage. Le dit de la douceur, le non-dit de la douleur.
Gaëlle Chotard s’est installée dans une cité d’artistes à Nogent-sur-Marne. Un atelier rempli de soleil et de chats blancs. Les étagères accueillent des cordes de piano et des bobines de fil de fer, de coton, des aiguilles, des milliers de papiers. Elle y expérimente tous les possibles et dessine avec des matériaux bien peu ordinaires pour pénétrer, entrer dans l’espace. Elle gratte, arrache, déchire les feuilles, les caresse ou les badigeonne avec l’encre de chine, tend encore avec une minutie extrême les si fines cordes qu’elle tisse ou crochète. Ça tire, s’étire, tiraille, çà mord, se troue et s’accroche, çà chancelle et chavire. La matière se soumet ou résiste. Et Gaëlle Chotard livre un combat difficile et méticuleux, libère les frontières et révèle une nouvelle alliance entre la plume et le fil de métal. Elle joue avec les vides et les pleins et définit la lumière jusqu’à trouver les traces de son apparition sur le mur. Un théâtre d’ombres tend des pièges à l’immobilité et aux ténèbres. De ses « mains éblouies » (Henri Michaux) émergent des nœuds et des étoiles. Des planètes. Des comètes. Du plus profond de son être, dans le repli, la concentration, qui devient médiation, vertige, peut être même, extase, s’échappe aussi le souffle qui soulève la dentelle, le pétale d’une fleur, une mèche de cheveux folle… mais aussi le vent, la tempête qui rugit et projette au dehors des esquisses d’embryons ou de matrices originelles. Macrocosme ? Microcosme ? Les palpitations de la vie.
Gaëlle Chotard cherche le miracle. Atteint le ravissement. Elle tâtonne dans l’ombre du savoir avec les images de la poésie. « Mes œuvres expriment des émotions, des paysages, le mystère d’être vivant », dit-elle.