Frank Bowling. Jusque-boutiste en action.
Cette première exposition parisienne montre toute la monumentalité et la beauté inouïe de l’oeuvre de Frank Bowling. Une oeuvre fleuve qui déferle sur vous comme un océan chaud où les couleurs vous portent comme des vagues. Une oeuvre où il s’amuse, joue et jouit des matières. A chaque coup de pinceau. A chaque respiration. A 90 ans.
Né au Guyana en 1934, Bowling s’installe à Londres en 1953 et obtient la médaille d’argent au Royal College of Art en 1962. Dès lors, il se distingue par un style qui mêle figuration, symbolisme et abstraction. À New York en 1966, il abandonne l’imagerie figurative au profit des matériaux et de la couleur. Ses « Map Paintings » (1967-1971) marquent cette transition. Membre de la Royal Academy en 2005, il reçoit l’Ordre de l’Empire britannique en 2008 et est nommé chevalier en 2020.
Mais Frank Bowling, c’est surtout un jusque-boutiste acharné et heureux. Un alchimiste inspiré par Matisse et tant d’autres, qui continue de peindre et réinvente l’usage des toiles collées. Laissez-vous embrasser par les oranges et les jaunes solaires, glisser dans les rouges de ses soleils couchants. Dans les matériaux et les styles qu’il mélange à son gré, l’artiste intègre des objets trouvés qui racontent des histoires. Son histoire aussi et surtout. Et le voilà qui entremêle des fragments du quotidien comme des ficelles ou un sac médical. Bowling évoque son désir de « jeter des détritus et les regarder nager », révélant ainsi la beauté fugace du monde. Ici, chaque élément respire une mémoire vivante et livre une énergie inlassable. Frank Bowling, à chaque instant, se rapproche du coeur du monde. Epuise le mystère.
Son fils, Ben Bowling, présent pour le vernissage de l’exposition, témoigne de ce parcours hors-norme. Interview par Anne Kerner.
Anne Kerner : Que désirez-vous que l’on retienne de votre père ?
Ben Bowling : Je pense qu’aujourd’hui, ce qui me semble le plus essentiel, ce que j’aimerai que l’on retienne de mon père, c’est son ambition. Il a quitté la Guyane en 1953, souhaitant devenir poète ou grand détective. Il a rejoint la Royal Air Force et y a rencontré un ami qui l’a introduit au monde de l’art. Il a découvert les maîtres anciens, Titien, puis les paysagistes anglais comme Constable, Turner, Gainsborough. Ensuite, il est allé en Amérique pour voir Rothko et Barnett Newman. Il a toujours voulu créer un art d’exception. Et je pense que ce que j’aimerais que les gens connaissent de lui, ce n’est pas seulement la beauté des œuvres, la palette, les couleurs, la géométrie, mais surtout l’idée d’un homme qui voulait créer un art capable de rivaliser avec Cézanne, Matisse, Picasso, avec les grands peintres américains et européens, être à leur niveau et être reconnu comme un grand artiste. Je pense que c’est cela que j’aimerais que les gens retiennent.
A.K. : Qu’aimeriez-vous que les visiteurs gardent de cette exposition ?
B.B. : Quand je suis entré dans cet espace lundi et que j’ai vu ces peintures monumentales… J’ai été profondément ému. Plusieurs personnes ont dit que c’était comme entrer dans une chapelle, peut-être même une cathédrale. Une cathédrale où les peintures ressemblent à des vitraux, des vitraux aux formes géométriques précises, aux couleurs magnifiques, qui éveillent quelque chose en nous, dans notre cœur.
A.K. : Quel moment privilégié avec votre père aimeriez-vous partager ?
B.B. : En 2020, il était si malade qu’il a failli mourir. On lui a dit au revoir. Puis il est rentré, et s’est remis à peindre, avec une joie absolue. Il disait que l’artiste est souvent perçu comme quelqu’un en proie à l’angoisse, à la souffrance, au combat intérieur. Mais lui disait : « non, c’est avant tout une question de joie ». Il est revenu dans son atelier au moment du confinement alors qu’on ne pouvait plus sortir de chez soi que pour un travail essentiel. Mon père disait alors : « Ma peinture est un travail essentiel. C’est une activité primordiale ». Le voir donc de retour dans l’atelier, revenu d’entre les morts, recommençant à créer des peintures pleines de joie, c’était un moment incroyable. Cela fait maintenant cinq ans, et il continue toujours de peindre !