Extérieurs – Annie Ernaux & la Photographie célèbre la relation étroite entre la photographie et l’écriture d’Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel de littérature en 2022, à travers des textes tirés de son livre Journal du dehors (1993) et des photographies issues de la collection de la MEP. L’exposition est le fruit d’une résidence menée par la commissaire et écrivaine Lou Stoppard en mai 2022. Anne Ernaux raconte sa relation entre l’image et l’écriture.
Anne Kerner : Comment avez-vous accueilli la proposition de Lou Stoppard ?
Anne Ernaux : J’ai été très agréablement surprise par le désir et la proposition de Lou. Je ne voyais pas très bien ce qu’elle voulait faire. Ce que je savais, c’est que, dès le départ, et c’était très clair, ce n’était pas une recherche d’illustrer mes textes mais ce serait de mettre en relation – ce qui est très different – des photos et des textes, chacun pouvant avoir un rapport mais pas obligatoirement. Je pense que son désir, que j’ai vu réalisé dans l’exposition, c’est que chaque photographie provoque une sensation, une sensation globale. Ce que que je cherche à faire c’est donner une sensation par un texte donc au fond c’est par là qu’on peut se rejoindre et non pas par le sujet.
A.K. : Quelle est la différence entre l’image et le texte ?
A.E. : Ce qu’il y a comme ressemblance entre la photographie et mon intention d’écrire, c’est capter l’instant, en sachant qu’il est éphémère. Tous mes livres sont écrits avec cette idée que les images disparaîtront. Avant d’écrire Les Années j’ai ce désir-là, de conserver des instants qui n’ont pas vocation à rester. Ce que je souhaitais faire c’est ne pas donner une explication.
A.K. : Qu’aimeriez vous exprimer sur le travail de Lou Stoppard ?
A.E. : Je voudrais rendre hommage au texte que Lou Stoppard a écrit pour l’exposition. La photographie, les arts sont son domaine et elle a un regard tout à fait neuf sur mon travail. C’est une découverte sur un texte très ancien qui date des années 1990. D’un seul coup, j’ai vu ce que j’avais écrit dans la préface en 1996, où je disais que je voulais donner une sensation identique aux photographies que j’avais vues de Paul Strand sur les paysans italiens. Des êtres sont là,on ne sait rien d’eux, et on a pas besoin de savoir. Simplement, ils portent en eux une force, une énigme. Je voulais réaliser cette saisie là du réel, d’une richesse incroyable le Dehors. Pourquoi à un moment de ma vie je suis littéralement « sortie » ? Je venais d’écrire La Place et auparavant des textes à partir de moi, de mon histoire, de mes proches.J’avais des grands fils et j’étais libre, je pouvais aller dehors quand je le voulais. On ne dira jamais assez cette importance pour les femmes de pouvoir aller dehors. On ne va pas parler de toutes les agressions qu’elles peuvent subir mais je veux partir de cette possibilité et surtout, de ce désir de regarder, de voir, et comme je prenais davantage le train, c’est ainsi qu’est né mon travail.
A.K. : Y a t-il une photographie qui vous touche particulièrement ?
A.E. : Je pense à la photo de Niepce de 1965. Elle représente une mère avec son petit garçon qui regarde par la fenêtre. Il y a évidemment cette idée de fermeture, de vie enfermée avec son tablier. L’enfant l’enserre et la regarde et pose son petit doigt sur la bouche de sa mère comme pour l’empêcher de parler. Elle regarde au loin. Il y a une sorte de violence mais aussi une grande douceur. Je me suis revue. Il y a souvent dans une photo qui vous attire particulièrement, qui vous fascine, le « bouton » de Roland Barthes, quelque chose que vous ne savez plus car ça appartient à votre mémoire. Il y a quelque chose d’enfoui profondément et que la photographie révèle.