La narration visuelle d’April Fool 2020 [Poisson d’Avril] donne forme aux émotions et aux images qui m’ont paralysé lorsque nous nous sommes soudain réveillés dans le cauchemar surréaliste de cette pandémie. La peur et l’impuissance dominent en moi depuis quelques semaines ; je me sens comme un simple figurant dans un film d’épouvante, dont la conclusion est totalement imprévisible. L’avion à bord duquel nous sommes a perdu ses moteurs – le silence ronronnant n’est que le présage de ce qui est à venir. Les rayons de supermarché, vidés par des accumulateurs fébriles, me font réaliser que depuis des décennies j’ai cru que tout serait toujours là, que nous continuerions à danser autour du volcan. Rien n’est moins vrai, et me voici, debout, la bouche pleine de dents. J’erre, désœuvré, dans l’attente d’on ne sait quoi, à redouter un ennemi que je ne puis voir, et qu’heureusement je n’ai pas encore senti. Erwin Olaf
Le monde d’Erwin Olaf demeure toujours en tension. Jusque boutiste de l’élégance, amoureux de la peinture flamande, dingue des matières qu’il sublime entre l’ombre et la lumière, le photographe vous entraine dans son univers très inquiétant et hyper sophistiqué. Né en 1959, le travail d’Olaf a prit une dimension internationale avec le concours Young European Photographer recu en 1988. Ses images entraînent à chaque fois dans un nouvel univers minutieusement construit et mis en scène. Après avoir investi, en 2019, la collection du Rijksmuseum avec plus de 500 œuvres, Erwin Olaf s’est vu offrir pour sa soixantième année une rétrospective retraçant 40 ans de carrière au Gemeentemuseum ainsi qu’au Fotomuseum de La Haye.
En rassemblant des séries rien que dans des déclinaisons subtiles de noir, réalisées depuis les années 1980, Olaf a fait un choix exceptionnel dans son oeuvre pour vous emporter bien plus loin, dans une inquiétante étrangeté. Si dans sa fabuleuse rétrospective qui au lieu à Amsterdam où il vit et travaille, où toutes les facettes de son oeuvres étaient dévoilées, avec toujours son regard quasi aristocratique sur la femme et l’enfant, le couple, à la galerie, ses images révèlent immédiatement l’angoisse, les peurs, les violences les plus chassées de notre inconscient.Elles montrent la solitude inéluctable de l’homme. La solitude de chacun de nous et notre regard sur l’autre. Sur nous-même aussi. Notre errance, comme il le dit dans le texte ci-dessus. Ici les bijoux dégoulinent des bouches des femmes et un jeune israélite se cache les yeux avec sa main. Et c’est toute l’histoire du corps dans la photographie qui défile sous vos yeux. Du nu subversif des années 1980 avec la série Chessmen, en passant par la presque insupportable Tamed & Anger, pour finir avec la série April Fool où l’artiste se met en scène tel un clown désespéré dans l’extreme solitude de la société en crise d’aujourd’hui.