Diego Movila. Foncer dans le décor, texte du catalogue d’exposition.
« Le tout devient en fait une matière à travailler dans un processus où l’image et la matière se confondent ». Diego Movilla.
GLITCH. « J’aime bien dire aujourd’hui que je fais une sorte de glitch du 17è siècle ». Toujours dans une création ininterrompue, nourrie par la rauxa de ses ancêtres, Diego Movilla poursuit une aventure sans frontières ni interdits d’une écriture qui se déploie dans une aire de jeu et d’échanges avec les chefs d’oeuvres de l’histoire de l’art. Et de la grande Histoire. Et flirte peut-être un peu plus avec la peinture de cour espagnole. « Malgré moi, l’histoire de l’art de mon pays est ancrée quelque part. C’est dans la logique de l’attraction-répulsion. C’est quelque chose qui m’émerveille et que je repousse à la fois. Il y a là un hommage et une critique de l’autorité ».
Un glitch donc. L’imprévisible ou l’inattendu qui saisit l’image et la piège. Et appelle d’autres expériences. Fondamentales. Fondatrices. Nécessaires. Celle de Robert Rauschenberg en 1953, avec « Erased De Kooning Drawing », osant détruire un dessin de son ami William de Kooning en le gommant un mois durant. Celle de Marcel Broodthaers en 1969, où « Dans La Pluie », l’artiste écrit sous des trombes d’eau emportant l’encre des mots. Celle de Claudio Parmiggiani en 2002, incendiant la bibliothèque du musée Fabre de Montpellier pour ne laisser sur les murs rien que l’ombre des livres. Reste seule l’empreinte du corps, de l’être, de la vie. La trace. La Mémoire ? « Cette idée de l’effacement est le sujet du travail. Ce n’est pas une remise en cause mais le moyen d’arriver à quelque chose, le but ultime ». Que se passe t-il donc là ? Un questionnement commencé par Diego Movilla il y a presque dix ans. « Une interrogation sur le repentir, longtemps réfléchie », dit-il.
CONSTRUCTION. Démarre son travail sur la construction et la dé-construction de l’image. Et l’artiste ne cesse de puiser certes dans l’histoire de l’art et de la peinture, mais aussi dans toutes les représentations du monde. Reproductions, presse, photographies…. Et pour l’exposition, le voilà lancé dans un immense Poussin. Le mythe comme humus. La perfection comme sollicitation. Sur vingt cinq feuilles de 75×110 centimètres, dessinées, raccordées, pièce par pièce, il a reconstruit au fusain le « Paysage Idéal » du maître du classicisme français dont il aime tant la miraculeuse harmonie entre l’homme et la nature. Le voilà parti, comme à son habitude, dans une folle aventure. L’oeil dicte la main qui s’amuse et s’anime dans les jeux d’ombres et de lumières, s’éclate dans les détails les plus fins, les plus fous. La passion de l’art transpire dans le fusain et le geste vif, alangui, minutieux… Attention… Ephémère.
Diego Movilla représente aussi la princesse Diana, le Prince Philip, Obama, un focus insatiable sur tous les puissants d’aujourd’hui. L’incarnation du pouvoir, de l’oppression, de la domination. L’incarnation de l’insupportable domine le choix de ses sujets peints. L’insupportable cadre de l’art également et de cette soit disant fenêtre ouverture d’Alberti sur le monde codée et surcodée. Ce « décor » dont parle le titre de l’exposition. Un spectacle suranné, vieillot, usurpé. Déshumanisé. Un appareil dont l’artiste comme tout Homme veut se délivrer pour retrouver sa liberté. Sa vie. Sa conscience. Sa présence au monde.
VERTIGE. « La construction, ce travail de dessin un peu classique n’a pas de sens, si le but ultime n’est pas la dé-construction, l’effacement. Ce qui est important pour moi est la rencontre de ces deux énergies différentes et contradictoires. C’est dessiner avec des techniques différentes.».
Le repentir arrive donc. Comme une censure, un blâme, un interdit. Et l’artiste d’entrer dans le vertige. Cette sensation que cherchait déjà Cézanne. Et tant d’autres. Celle d’un Monet se noyant dans ses nymphéas. Celle d’un Pollock dansant au-dessus de sa toile. Celle d’un Michaux perdant enfin la notion d’écriture. Et sur d’autres continents encore, dans d’autres temps, celle du moine Shitao qui dans le vide trouve le plein. « Ce Vide qui est grandeur. Il est tel l’oiseau qui chante spontanément et s’identifie à l’Univers ». Mais l’occidental comme l’hispanique Diego Movilla a bien autrement besoin d’une tension qui monte, d’une effervescence, d’une impatience qui gonfle jusqu’à l’explosion. Car le refus est le moteur de cette agression du vivant contre la négativité qui l’entame. « Peut-être est-il nécessaire que mes efforts apparaissent dans le tableau. Peut-être sont-ils une façon de témoigner de cette recherche fébrile due à mon, à notre aveuglement, écrit Antoni Tapiès le catalan, dans ses Mémoires toujours aussi actuelles parues en 1981, dans ce pays et à cette époque, une façon aussi de témoigner de notre aspiration à la lumière et à la liberté ».
EFFACEMENT. « Plutôt que d’effacer les choses, je fais apparaître les choses. Que j’efface à la gomme ou à la main, par cet acte de l’effacement, il y a des choses qui se révèle. Et c’est cette révélation qui m’intéresse davantage ».
Et Diego Movilla part en campagne gomme à la main sur le fusain ou white-spirit et chiffon sur la peinture, et en dans son seul mouvement mêle réflexion, rigueur et jouissance. Le geste biffe, marque, griffe. L’artiste se lance dans de long traits verticaux et horizontaux qui quadrillent la grande oeuvre de Poussin. Son geste plus souple, plus rond, enveloppant, couvre deux oeuvres à l’huile du Lorrain comme dans un nuage de gestes géants. Vitesse et douceur, mouvements pulsatifs, tendus, dynamiques, sereins aussi, livrent enfin l’oeuvre vers son achèvement. La trajectoire du corps , du geste, de la main et de l’esprit suspend le temps et renverse les codes. Grâce au déséquilibre de son renversement et le geste brut qui le barre, ce corps à corps avec le papier ou la toile, la puissance plastique ne faiblit pas. Au contraire. Elle rejette son oeuvre vers l’exploration de la texture et la découverte de l’image. Captifs de la matière et n’existant plus que qu’en elle et par elle, les figures sont de même nature que les marques qui renvoient à la plénitude de l’oeuvre. Leur amplification et leur opacité se confondent. Et se neutralisent. Elle ne s’affirme que pour se nier et inversement. Parce que le sens a été exténué, par la dérive et l’invention, le dessin réapparaît, absous de toute fonction technique, expressive ou esthétique.
Diego Movila, regagne librement l’origine de la chaîne, épurée, libérée désormais des raisons qui depuis des siècles semblaient justifier la reproduction graphique d’un objet reconnaissable. Il va au coeur du sujet et de la matière et fait éclater toutes les digues. Parce qu’elles « rentrent dans le décor », ses oeuvres sont des épreuves de vérité. Anne Kerner.