Deborah Fischer, Paris, Le Regard du Temps, CulturFoundry. Du 3 au 12 juin 2021.

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Deborah Fischer, Paris, Le Regard du Temps, CulturFoundry. Du 3 au 12 juin 2021.

Sous l’égide de l’association CulturFoundry et de Frédéric Lorin, l’exposition Le Regard du Temps rassemble dix-neuf artistes. Parmi eux, Deborah Fischer.  Interview par Anne Kerner.

 

Anne Kerner : Pouvez-vous me parlez de l’œuvre que vous présentez à l’exposition. Quel en est le sujet, le matériau, son histoire, sa signification ? 

Deborah Fischer : Tout a commencé à « Mattancherry », dans ce quartier de Cochin, en Inde du Sud. C’est ici que j’ai eu mon premier choc émotionnel, presque stendhalien, à la vue d’un mur délabré par le temps. Les fissures, les écailles, les couches successives de peinture m’ont interpellé avec force et délicatesse. Pendant des années, j’ai photographié des fragments de murs sur lesquels le temps avait agi comme agent d’érosion ou de renouveau (Murmures, Au coin de la rue, Mattancherry). Cette démarche, presque frénétique, était une manière de capturer la mémoire de ces endroits que j’avais traversés, de les inscrire dans une temporalité subjective dont le souvenir resterait intact. Les œuvres que je présente dans l’exposition « Le regard du temps » sont les témoins des cris, des rires, des discussions entendues ou murmurées dans ces rues d’ici et d’ailleurs, dans ces lieux entremêlés par un travail de tissage de ces mêmes photographies. Récits japonais a pour fil de trame des images prises au Japon. Ces dernières, qui rythment ponctuellement l’œuvre, ont déterminé l’identité du tissage. Ainsi, les lieux peuvent aussi simplement se définir par des couleurs et des textures. Pénélope, quant à elle, est une réinterprétation de l’Odyssée dans laquelle Ulysse et Pénélope fusionnent. Je tisse à partir de mes propres aventures de voyageuse solitaire, là où l’absence de l’un et la patience de l’autre s’associent pour ne faire qu’un. Dans toutes les œuvres présentées, faites à partir de toiles, papiers et fils, la photographie, la sculpture et le travail textile se frôlent avant de se caresser. 

 

A.K. : Comment et pourquoi votre œuvre s’intègre au thème de l’exposition « Le Regard du temps » ? 

D.B. : Le temps est un fil qui traverse l’ensemble de ma démarche. Il sillonne, noue mes pièces entre elles, autant par les thématiques abordées que par le geste créatif.
Ici, l’action de tisser apparaît comme un moyen de compter le temps, de le quantifier. La main qui entrelace les photographies préalablement déchirées devient un sablier dans lequel chaque mouvement des doigts incarne un grain qui tombe, un amas de poussière qui se fige avant de se renouveler. Le temps qui regarde est donc un temps qui s’écoule. 

 

Dans chaque œuvre présentée, le passage du temps apparaît par délabrement mais aussi par réviviscence. Les lieux se déplacent ou s’éternisent, les murs vivent ou se pérennisent. A travers le tissage de contrées capturées et des souvenirs qui y sont associés, je tente de questionner un temps qui se détériore, évolue et se transforme. Le regard du temps c’est aussi la mémoire qui nous reste de nos moments vécus, des lieux dans lesquels nous avons un jour erré ou, même furtivement, habité. Dans l’exposition « Le regard du temps », il y a également des œuvres textiles qui ne sont visibles que sur consultation. Cette série s’appelle Les oubliés car elle a été délaissée durant des années par peur de la voir exister comme œuvre. Pourtant, cette série est un travail qui incarne les prémices de mon esthétique de la dégradation, de l’usure et de l’irrégularité. Les oubliés est la clé qui nous mène à l’entrée des tissages exposés. Durant des années, j’ai tenté de reproduire le travail du temps, la corrosion qui s’opère organiquement par son action sur les choses. Puis, l’instant où j’ai compris que le temps était inimitable, immuable donc, j’ai débuté mes tissages de murs ; acceptant ainsi que la main de l’artiste soit bien distincte de celle du temps. 

 

Le regard du temps est donc, pour finir, un regard bienveillant qui nous accompagne dans la durée. Un regard qui nous dit que le temps qui passe est un temps qui nous permet d’accepter ou de renoncer à oublier. 

 

Actualité : Deborah Fischer fait partie des cinq duos artiste-curateur sélectionnés pour le prix dauphine pour l’art contemporain.  L’exposition collective aura lieu du 24 juin au 3 juillet prochain à la galerie du Crous.

Site de l’artiste : www.deborahfischerscarlett.com

CulturFoundry, 36, rue du Fer-à-Moulin, 75005 Paris.