Depuis toujours, Damien Cabanes s’émerveille devant les êtres et les choses. Et retranscrit son émerveillement. Ses ateliers ? Style Francis Bacon en beaucoup plus joyeux ! L’un pour la sculpture. L’autre pour la peinture. Et partout le même heureux bordel de toiles, de tissus colorés, de tubes de peintures, de plantes vertes, d’essais abandonnés. Du sol au plafond, l’espace sursaturé d’éclats et de coulures nourrit l’artiste qui parvient à en livrer la quintessence. En ce moment, des portraits et beaucoup de fleurs. Brossés juste en quelques traits. Avec quelques couleurs. « La peinture, dit-il, c’est le bras, la sculpture, c’est la main. Il y a une adéquation entre le physique et le résultat. Tout participe ». Toujours attaché au réel, Damien Cabanes arrive à toucher ce monde idéal et primitif que recherchait Matisse et Bonnard. « Les personnages, en effet, sont calmes, en attente….Je ne suis pas doué pour la violence. Car j’aime les choses posées. Il y a peut-être une mélancolie mais jamais quelque chose de tragique. J’ai un tempérament un peu méditatif, sauf dans l’exécution ! », conclut l’artiste.
Entretien avec Anne Kerner.
A.K. : Qu’est ce qui vous a ouvert les yeux à l’art ?
D.C. : Depuis l’âge de sept ans je peignais et j’ai décidé d’y consacrer ma vie entière en allant au Palais de Tokyo qui était alors le Musée national d’art moderne. Dans une salle, je me rappelle très bien, il y avait une peinture de Bishop, il y avait un Fontana, un « contre-papier » découpé noir avec un fond bleu et quelques trous et au milieu, un Rothko qui est à Beaubourg maintenant. Et devant le Rothko je suis tombé à la renverse, devant un tableau qui pouvait exprimer des choses si profondes avec juste trois plages de couleurs. C’est à partir de ce moment là que j’ai décidé que je serai peintre.
A.K. : Ensuite ?
D.C. : Quand j’étais aux Beaux-arts, j’ai fait de la peinture et de la sculpture. En sortant des Beaux Arts, la sculpture était tellement difficile d’un point de vue pratique, ne serait-ce que d’avoir l’atelier adéquate, le stockage… je me suis dit que je me concentrerai pendant quelques années sur la peinture. J’ai fait cela pendant cinq ans. De la peinture à l’huile. Et en 1993, j’ai eu un one man show à la Fiac qui a très bien marché. Je me suis dit c’était le moment où jamais de repasser au volume et j’avais enfin l’atelier nécessaire pour.
A.K. : Quel travail avez-vous alors réalisé ?
D.C. : A l’époque je suis passé aux formes en plâtres abstraites, colorées. Et je pensais que cela durerait quelques mois et en fait j’en réalise encore. C’est très vaste comme travail. Dans les sculptures en creux, il y a une importance donnée au vide. Un jour je me suis aperçu en faisant des sculptures que l’intérieur, le creux, avait un impact très intéressant et très sculptural et je me suis dit qu’il fallait l’exploiter. Après pendant deux ou trois ans, je n’ai que travaillé sur ce thème. Cela n’a pas le même impact sur la rétine et le système nerveux, un creux ou une bosse. Avec un creux, on est un peu absorbé à l’intérieur donc c’est quelque chose de très intéressant et expressif. J’ai fait plusieurs interventions avec des architectes dans cet esprit là. J’ai fait un puit pour une station de métro à Toulouse. Il y a eu une commande publique pour la même pièce réalisée à Chamarande juste à côté de Chamarande dans le collège Sonia Delaunay de Grigny, dans un escalier et cette fois dans un matériau solide. Le creux m’a intéressé car au lieu d’avoir une forme qui nous saute à la figure, c’est le contraire, l’observateur plonge et est aspiré. J’ai toujours été étonné que cela n’ai pas été plus exploité. Il y a des exemples comme Fontana, Anish Kapoor mais pas tant que cela.
A.K. : Puis vous avez repris la peinture….
D.C. : Oui. Il y a eu des grandes gouaches sur papier. J’en ai fais pendant dix ans. Après l’époque des sculptures en creux il y a eu des grosses boules, aussi. Et en parallèle, ces gouaches qui me reposaient de ce travail et me permettait d’avoir un répertoire de formes plus large que juste les formes simples, archétypales comme les creux et les boules. Donc là j’ai fait poser des enfants. J’ai appris à travailler très vite car on ne peut pas faire poser les enfants longtemps. Mais cela m’a beaucoup intéressé. Quelques fois il y a juste un geste très rapide, avec l’importance du blanc du papier. Je me suis aussi à un moment donné beaucoup intéressé à la peinture orientale et japonaise. Donc il y a cet esprit du blanc, du vide…C’est aussi vouloir aller à l’essentiel. Après j’ai voulu tester en volume ces personnages et je les ai fait en terre. J’ai choisi la terre cuite, quelque chose de très simple, directe, très rapide aussi. J’en ai fait pendant plusieurs années et je continue aussi. Toujours avec le modèle devant. Ce n’était plus des enfants. J’ai travaillé longtemps plutôt avec des adolescents. Puis, je suis passé à l’atelier. Je déteste les modèles professionnels. J’en prends de temps en temps quand j’ai besoin de faire du nu. Mais je n’aime pas leurs poses stéréotypées qui n’ont aucun intérêt. J’aime les situations quotidiennes. Je viens de l’abstraction. Donc pour moi, la peinture est une histoire de formes, de couleurs, d’espace, de proportions, de valeurs. Il y a une émotion totalement intégrée purement plastique. Ceci dit, si une histoire s’y ajoute, pourquoi pas ? Mais je ne suis pas littéraire.
A.K. : Votre palette est particulière…
D.C. : Quand j’étais dans l’abstraction ma palette était très proche du nuancier de base des peintures. Cela servait de point de départ, j’en jouais et cela me suffisait. Après quand je peins d’après nature, je peins ce que je vois. Il y a des clairs obscurs, donc dans ce cas, ce sont des couleurs mélangées… Ce n’est pas moi qui décide. Je peins ce qui est devant moi. Je n’invente rien. Il n’y a pas un coup de pinceau qui est fait en dehors de la séance de pose. Je ne retravaille ni avant ni après. Moi qui venais de l’abstraction, je suis maintenant complètement tributaire du modèle. Cela commence d’ailleurs à m’inquiéter ! Je suis incapable de représenter quelque chose par moi-même. Je n’ai aucune imagination. Il y a aussi un côté très concret. Pendant longtemps j’ai renversé de la peinture, donc il y a toujours ce côté concret de la peinture qui s’étendait d’elle-même. La présence physique du modèle est très importante.
A.K. :Comment se passent les séances ?
D.C. : La séance entière dure trois heures et je travaille en même temps deux peintures en général. Donc cela fait une heure et demie pour chaque peinture. Après je les accroche, les peintures sèchent une semaine, et la semaine suivante, le même jour, les mêmes modèles reviennent et je les reprends. Des fois, en une seule séance, cela marche, mais en général c’est trois ou quatre séances, pas plus. Après avoir fait pendant des années des gouaches, j’ai vraiment appris à travailler vite, à travailler la rapidité du geste. J’utilise pour cela de très gros pinceaux. Il y a vingt ans, je travaillais des mois des peintures. Je faisais des damiers, je travaillais parfois huit heures par jour sur la même peinture. Cela devenais complètement obsessionnel. Je repeignais sans pouvoir m’arrêter… Il n’y a pas d’entre deux.
Pour réaliser le fond, j’ai quelques tissus colorés, sinon je travaille avec les couleurs que les modèles portent sur eux. Je travaille sur des grands formats. Donc il y a toujours l’importance de la rapidité du geste. Il y a d’ailleurs une contradiction entre l’exécution rapide et le résultat final qui est calme. C’est une contradiction qui n’en n’est pas vraiment une. En peinture, c’est mon bras, en sculpture, c’est l’articulation des poignets, des phalanges qui jouent. La peinture, c’est le bras, la sculpture, c’est la main. Il y a une adéquation entre le physique et le résultat. Tout participe.
Les personnages, en effet, sont calmes, en attente….Je ne suis pas doué pour la violence. Car j’aime les choses posées. Il y a peut-être une mélancolie mais jamais quelque chose de tragique. J’ai un tempérament un peu méditatif, sauf dans l’exécution !
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