L’excellent historien de l’art et écrivain Paul Ardenne a été le premier à promouvoir l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie. La Fondation groupe EDF lui a confié une exposition d’envergure réunissant des artistes internationaux engagés dans le combat écologique. « Courant vert, Créer pour l’environnement » souligne le processus d’adaptation qui traverse aujourd’hui l’humanité. De Joseph Beuys à Lucy et Jorge Orta en passant par Jérémy Gobé ou Nathan Grimes, tous, à travers leurs photographies, vidéos, installations, dessins… jouent un rôle majeur dans cette mutation en agissant sur les imaginaires et proposer de nouveaux récits. Ils sont 21 à le prouver.
Extrait de l’entretien de Lauranne Germond, COAL par Paul Ardenne :
Lauranne Germond historienne de l’art et commissaire d’exposition, est co-fondatrice de l’association COAL qu’elle dirige depuis son origine en 2008 aux côtés de Loïc Fel et de Clément Willemin. À travers le Prix COAL, des actions de coopérations internationales et plus d’une cinquantaine d’expositions et de projets culturels de territoire, COAL est le premier acteur français à promouvoir l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie.
Paul Ardenne : la notion d’art « environnemental » est complexe. Les Anglo-saxons parlent d’« Eco Art », ce qui n’est pas forcément clair non plus. Comment définiriez-vous, pour couper au plus court, un art « vert » ?
Lauranne Germond : Il est toujours délicat d’enfermer l’art dans des catégories, d’autant que cet art « vert » recouvre une très grande diversité, une vaste nuée de pratiques verdoyantes ! Le terme d’art « écologique » a l’avantage de recouvrir le champ politique et social, d’en référer à la pensée complexe et systémique de l’écologie plutôt qu’à sa seule dimension environnementale, qui est assez réductrice. On peut aussi contester le recours à la couleur verte, qui tend par exemple à faire oublier le bleu. Celui de l’atmosphère et des océans, qui représentent pourtant 90 % du monde vivant…
Il faut donc gagner en précision. Une définition simple est exclue ?
Je distinguerai pour ma part trois typologies de pratiques à même de définir ce qui constitue aujourd’hui un art dit « écologique », des typologies qui souvent se croisent et se superposent : le témoignage et le partage de connaissance ; l’action politique et symbolique ; les pratiques de résilience.
Pouvez-vous développer ?
Première typologie : celle propre aux artistes qui témoignent, qui donnent un visage à l’anthropocène, qui rendent perceptibles tout à la fois l’ampleur de la crise écologique, les pollutions cachées, les souffrances lointaines, l’appauvrissement de ressources insoupçonnées, la dégradation voire la destruction des écosystèmes et leurs conséquences sur les populations, le vivant et les paysages. Cette approche recouvre une vaste palette de pratiques documentaires mais aussi, plus largement, une grande partie des démarches Art et science actuelles. Chaque manifestation de la crise écologique dévoile un champ de connaissances scientifiques qui suscite la fascination des artistes et bouleverse les imaginaires artistiques. Observations, expériences, travail de terrain…, les artistes s’approprient les outils des sciences pour explorer, pour comprendre et pour partager l’état de l’art en matière d’appréciation scientifique de la crise écologique. En retour, ils chamboulent l’univers de rectitude des laboratoires et leurs ouvrent des perspectives en terme de partage des connaissances et de sensibilisation à l’écologie.
Une création multidirectionnelle. Seconde typologie, disiez-vous, l’action politique et symbolique.
Oui, l’art qui agit sur les systèmes à l’origine de la crise écologique pour les dénoncer, les court-circuiter, les transformer. L’action artistique, dans ce cas, est plus délibérément politique. Ses armes sont la déprogrammation des imaginaires par l’écriture de nouveaux récits, utopiques et dystopiques, mais aussi par la décolonisation des systèmes de représentation jusque dans le champ lexical. Au point d’aller jusqu’à inventer de nouveaux mots pour nous permettre de parler de notre ressenti au contact du changement climatique, comme y invitent les artistes activistes new-yorkaises Heidi Quante et Alicia Escott. Mentionnons ici, encore, la sculpture sociale. Celle-ci réinvestit le champ du collectif pour donner aux citoyens le pouvoir de changer les règles a des échelles microlocale (Thierry Boutonnier). Également, le parasitage des cadre légaux (Amy Bal- kin, Maria Lucia Cruz Correia), avec pour but de faire reconnaître des droits ou des crimes environnementaux par le biais d’une action symbolique et collective forte. C’est là l’écologie politique en art. Elle se construit sur des liens de communauté, le partage, la convivialité et le symbolique.