L’artiste français célèbre dans le monde entier n’avait plus exposé au Centre Pompidou depuis 35 ans. Il y dévoile donc une vie consacrée à la mémoire et au temps en 50 oeuvres.
André Breton, ami de son père lui recommanda : « Vous avez l’air très gentil. Ne devenez pas artiste. Ils sont tous méchants. C’est un sale milieu ». Qu’importe ! Christian Boltanski se définit bien comme peintre alors qu’il n’a plus tenu un pinceau depuis bien longtemps. Il lit Modiano, cite Jacques Demi, se rend au Japon plusieurs fois par an, épouse une autre figure magnifique de l’art français Annette Messager. Et c’est dans son atelier de Malakoff que ce fils de famille d’intellectuels sociologue et linguiste invente son univers bien sombre à brouiller les pistes. Né en 1944, Christian Boltanski, photographe, sculpteur et cinéaste, connu avant tout pour ses installations, s’interroge depuis toujours sur l’absence, la disparition. Il écrit lui-même dans un texte autobiographique en 1967 : « 1958. Il peint, il veut faire de l’art. 1968. Il n’achète plus de revues d’art moderne, il a un choc, il fait de la photographie, blanche et noire, tragique, humaine… »
« Christian Boltanski, écrit Gaëlle Périot-Bled, dans la biographie consacrée à l’artiste, est né en 1944 et son parcours est celui d’un autodidacte qui n’a suivi aucune véritable formation artistique et qui n’a été encouragé que par des rencontres providentielles avec Jean Le Gac ou Annette Messager, au milieu des années 1960. Il affirme ne devoir son salut qu’à l’art qui lui a permis de mettre en forme le problème central de son existence : l’acceptation de la disparition du passé et, en particulier, le difficile deuil de l’enfance, une enfance à la fois surprotégée et chaotique. Sa famille est en effet sortie meurtrie de l’épreuve de la guerre : sous l’occupation, son père vit caché sous le plancher du domicile familial, sans que ses enfants ne le sachent. Et Christian Boltanski a été conçu pendant cette période, par ce père fantomatique. Au lendemain de la guerre, son enfance est marquée par ce traumatisme : la cellule familiale ne peut plus envisager de se séparer, au point que tous dorment dans la même chambre de la grande maison de la rue de Grenelle et que tous accompagnent le père pendant ses consultations médicales, restant parfois la journée entière dans la voiture. Christian Boltanski ne s’est entretenu que très récemment de cette enfance peu ordinaire, dans l’entretien avec Catherine Grenier, La Vie possible de Christian Boltanski, expliquant comment cette expérience l’a maintenu très longtemps dans l’enfance, incapable qu’il était de sortir seul dans la rue sans hurler, ou de se rendre à l’école, de sorte que sa mère lui avait acheté une boite de peinture pour l’occuper. L’évocation de cette enfance que Boltanski a longtemps tue, soucieux de redonner à sa vie une normalité dont elle n’avait pas pris le chemin, nous mène directement au drame qui habite son oeuvre : Tout homme porte en lui un enfant mort.
Dans les années 1980, il a le gôut des archives et des inventaire qui l’avait fait connaître comme un artiste de la mémoire. Et le voilà qui invente des formes sur la médiation et la mort. Depuis plusieurs années, il se consacre à des oeuvres géantes comme Monumenta au Grand Palais, en 2010, où il crée une installation visuelle et sonore intitulée « Personnes » réalisée à partir de montagnes de vêtements qui fera venir 150 000 visiteurs. Il réalise aussi des oeuvres permanentes comme Les Archives du Coeur au Japon où on lui voue un véritable culte. Le but ? Enregistrer le battement de cœur de celles et de ceux qui veulent bien se prêter au jeu dans une petite pièce immaculée. On l’a compris, Christian Boltanski touche le spectateur en faisant appel à son émotion et sa mémoire. Aux souvenirs. Ceux de l’enfance, des défunts, d’une histoire personnelle confrontée à celle de la grande Histoire. Connu pour avoir brouillé les pistes entre sa vie et son oeuvre, les cinquante pièces présentées au Centre Pompidou traversent un demi siècle de questionnement sur notre société.