Carolyn Carlson : Sur tout mon parcours de vie, j’ai l’impression de faire partie d’un immense champ de fils ; s’interconnectant, s’entrecroisant, couche après couche, une synchronicité d’événements dans un flux continu. Un champ de dons inhérents.
Mon travail d’artiste qui danse, se produit, chorégraphie, écrit de la poésie et dessine est une accumulation d’expériences révélant une tapisserie de fils se connectant au sein de la toile de l’univers, captant intuitivement des énergies au-delà de notre compréhension.
Je me perçois comme une messagère : les idées entrent dans mon esprit sans que je n’en connaisse leur source.
Le point fixe où la danse commence, dessinant sur le papier les veines d’une arabesque, déposant un poème spontané sur un fil, une image et une poésie qui partagent les mêmes idées. Un geste déplaçant l’air environnant.
Un mystère comprimé dans des moments infinis de création. Éphémère. Imprimé. Original.
L.H. : Parlez-nous de votre formation multiple, de danseuse, de calligraphe, de poète…
C.C. : « Je suis une autodidacte en poésie, en dessin et en calligraphie, influencée par un maître zen. À New York, dans les années 1960, j’ai fait une importante découverte en prenant un cours de méditation zen. Nous devions spontanément dessiner une encre, en une seule respiration. C’était impressionnant de voir le résultat de notre « souffle d’encre » sur le papier, sans aucun jugement. J’y ai trouvé une clé pour mon travail, la joie de faire des gestes spontanés sans idée en tête, seulement l’acte de faire. En plus des principes très forts de mon maître Alwin Nikolais, j’ai trouvé d’autres façons d’étendre la danse vers le papier et l’écrit. John Davis a été également d’une grande influence, il m’a dit un jour :
Pour vraiment comprendre ce que tu veux donner aux autres en tant qu’interprète ou chorégraphe, écris-le et dessine tes visions. Sa confiance dans mon travail m’a poussée à écrire des poèmes et dessiner à l’encre. Et je pense que mon travail d’improvisation avec Nikolais a encouragé mes travaux calligraphiques, qui peuvent être comparés à des solos imaginaires et spontanés. […]
Mon influence a débuté avec l’ensō, les cercles d’illumination zen. Un trait de pinceau de calligraphie qui crée un cercle exprimant la totalité de notre être. Carl Jung se réfère au cercle comme un archétype du Soi comme totalité de soi-même. L’ensō est peut-être l’élément le plus courant dans la calligraphie zen. Il symbolise l’illumination, le pouvoir et l’univers lui-même. C’est l’expression directe du « moment-tel-qu’il-est ». Mis à part ces cercles, le maître japonais offre une transmission de la poésie en dehors du cercle, comme un moyen de communication direct vers l’esprit humain. Cette révélation a été le début de ma série de dessins de cercles, comme un état méditatif mais aussi comme trace de la permanence, alors que la danse vit et meurt dans l’instant de son exécution. Cela a été le début également de quarante ans d’étude du bouddhisme, qui fait partie de ma vie d’artiste et de femme. L’ensō en lui-même mérite sa propre récompense. Il n’a pas de cause en dehors de lui-même et n’a pas d’autre effet que lui-même ».