Après cinq ans d’absence en Europe, l’artiste Indienne Anju Dodiya dévoile à la Galerie Templon de Bruxelles sa « Tour de lenteur », un ensemble de près d’une vingtaine d’œuvres inédites. Nous l’avons interviewée en direct de Mumbai où elle vit pendant le confinement en Inde où elle ne peut pas travailler actuellement. Le masque si important symboliquement dans son oeuvre est devenu une réalité. Interview témoignage en juin 2021. Vidéo.
A 57 ans, Anju Dodiya compte parmi les artistes les plus respectées de la scène indienne. Avec l’autoportrait comme point de départ, ses peintures explorent depuis trente ans les conflits entre vie intérieure et réalité extérieure : l’angoisse de la création, les frustrations de l’artiste face à la violence du monde, l’incommunicabilité entre les êtres. Cette dernière année de pandémie et le strict confinement auquel elle est encore forcée dans son atelier-maison de Mumbai ont évidemment trouvé en elle un écho tout particulier. Pour une artiste dont l’œuvre s’attache tant aux questions d’isolement et de masque social, la situation actuelle a agi comme un catalyseur. Comme elle l’explique « cette dernière année a été inhabituelle pour chacun d’entre nous. Nous partageons soudainement une blessure commune, la reconnaissance douloureuse de la précarité de nos vies. »
Anju Dodiya a ainsi créé un ensemble de sept toiles matelassées et découpées géométriquement. Accueillants mais visiblement inconfortables, ces « matelas » incongrus recouvrent les murs de la galerie d’une série de portraits combinés à des motifs de peaux d’animaux sauvages à la fois familiers et énigmatiques. Puissamment poétiques, ces œuvres, mêlant fusain et aquarelle, esquissent de courtes scènes intimes, rassurantes et ambiguës. Comme le décrit l’artiste : « Alors que nous nous allongeons sur notre lit ou nous asseyons sur notre chaise, des formes aiguisées et géométriques occupent notre esprit et obnubilent toutes nos pensées. La lenteur, la solitude, et une conscience aigüe de notre corps et de notre esprit font frémir nos antennes émotionnelles. Ces œuvres matelassées ne sont que le fruit de ces pièces obscures que nous habitons ».
En contre-point une série d’aquarelles met en scène le thème du masque, motif de prédilection depuis longtemps d’Anju Dodiya qui s’est souvent représentée masquée. Inspirée par le travail de James Ensor, elle dessine pour son exposition belge des visages figés, recouverts indifféremment d’un souffle « d’air bleu », de voiles de diamants ou de masques chirurgicaux. Dessinés au crépuscule, au coucher du soleil, dans la lumière du désert ou sur le chemin de la maison, ces vrai-faux autoportraits sont présentés dans leur seul rapport au temps et à l’espace, marqués par une solitude pesante mais, peut-être, salvatrice.
Née en 1964 et diplômée de la Sir J.J. School of Art, Anju Dodiya vit et travaille à Mumbai . Elle compte parmi les artistes contemporains les plus respectées en Inde aujourd’hui. Aquarelliste à ses débuts, Anju Dodiya a évolué vers un travail à l’acrylique et au fusain, sur toile et divers textiles. Dans sa pratique, l’artiste réactualise de multiples sources historiques aussi variées que les tapisseries médiévales, les peintres italiens de la Renaissance, l’estampe japonaise Ukiyo-e ou les photos de journaux.
Son œuvre a été présentée notamment à l’exposition Art in the world en 2000 à Paris, au Chicago Cultural Center en 2007, au Museum of Contemporary Art de Shanghai en 2009, à la 53ème Biennale de Venise en 2009, à la 5ème Biennale de Beijing en 2012, à la Pizzuti Collection aux États-Unis en 2017, et à la Ishara Art Foundation à Dubaï en 2020.
Son travail est présent dans de nombreuses collections privées et publiques dont la National Gallery of Modern Art, New Delhi, Mumbai ; la Jehangir Nicholson Art Foundation, Mumbai; le Kiran Nadar Museum of Art, New Delhi; laBurger Collection, Hong Kong; le Art Institute of Chicago; au Private Museum, Singapore et à la Zabludowicz Collection, Londres.