Alexandre Hollan ressemble à ces vieux calligraphes chinois, à ces philosophes magnifiques, qui, le regard malicieux et le visage incroyablement jeune, laisse les sillons de l’âge se projeter, s’effacer dans l’énergie, la concentration, le mouvement de ses oeuvres. De la vie.
Quel est votre premier souvenir sur les arbres que vous ne cessez de peindre ?
Je garde un souvenir très lointain dans mon enfance. J’avais trois ans et j’étais assis sur une balançoire attachée à un grand arbre. Sur cette balançoire, quelqu’un m’a lancé. J’étais donc dans un mouvement. A un moment j’ai voulu descendre. Par jeu, on m’a relancé et une foule de peurs énorme sont apparues et j’ai commencé à hurler. J’entend encore ces hurlements en moi. Puis ma mère est arrivée. Elle m’a prise dans ses bras et elle m’a montré le soleil couchant. J’étais dans un monde tranquillisant et rassurant tout à coup. Avec le souvent de cette expérience, il serait facile de dire que « Les vies silencieuses », c’est le soleil couchant et les arbres, c’est le drame de l’existence. En nous, il y a des moments de forces qui sont là pour lancer la vie et continuer jusqu’à notre mort.
Comment commencez-vous à peindre ?
Au début, je ne vois rien. Je suis devant un monde inconnu. C’est dans l’arbre qu’apparaît la vie. Il est pour moi un intermédiaire entre la vie et moi. Cà commence toujours par le mouvement, par le mouvement qui se fait dès que le contact a été ressenti. Car c’est ce contact qui reste en mouvement. Cà dure un certain temps. L’énergie s’arrête, revient, reprend. Mais entre les deux, il y a un moment où le monde change et l’espace apparaît. Quelque chose qui vient du « non-mouvement » arrive jusqu’à moi. C’est ce « non- mouvement » que l’on ressent comme une respiration, un espace silencieux. La vie à travers l’oeuvre est toujours une alternance entre le mouvement et le « non-mouvement ».
Parlez-nous encore du mouvement …
Je suis le mouvement qui est mon seul contact avec l’invisible. L’arbre est pour moi l’abstraction, ce que je ne vois pas. C’est une relation complète. Imaginez un arbre qui ne peut pas bouger, c’est comme quelqu’un de ligoté. L’arbre représente cette appartenance à la terre. Il est prisonnier de ses racines. La souffrance d’un arbre qui doit bouger sans bouger est quelque chose dans lequel l’homme trouve la place pour ses propres souffrances intérieures. Je suis l’arbre. Est-ce que l’arbre se reconnait en moi, je ne sais pas !
Quel est l’importance du geste ?
Le geste continue le mouvement, donc je suis traversé par le mouvement et le geste dessine. Quand je n’ai pas de papier, je ne peux pas voir. Le voir est un circuit du regard jusqu’au papier. C’est le premier jet. C’est la même chose dans un temps beaucoup plus lent qui se développe sur un arbre pendant parfois une centaine d’heures. L’arbre devient une sorte de maître qui m’apprend comment continuer, revenir, reprendre, devant ce que l’on ne voit pas.
Que pensez-vous de l’art asiatique ?
En Occident, il y a un drame que l’homme moderne, même Cézanne et les romantiques ont senti dans la peinture, alors que l’art oriental est toujours tempéré. Il y a une esthétisation de tout qui n’est plus dans notre manière de voir. Nous sommes moins sédentaires, nous sommes un peu perdus dans le monde et le sage oriental était devant sa hutte et c’est là qu’il voyait tout. Je le comprend beaucoup car j’ai ce même attachement à l’immobilité.
C’est le secret des « Vies silencieuses » ?
En Occident, on sait qu’il y a un drame dans le monde, tandis que les asiatiques commencent seulement à le découvrir. Ils ont opté à un moment de leur histoire pour le replis et pour un calme artificiel. La paix des Vies silencieuses » est pour moi bienfaisante. Je trouve qu’elles sont là pour nous délivrer de notre inquiétude, notre impatience, nos peurs. La bonté d’une cruche, la bonté d’un fruit trop mur est tangible. Quand on est à un mètre des objets, on sent qu’ils vivent, vibrent, accueillent un monde psychotique, plus fragile. Ils donnent un peu de leur chaleur. Quand elle rayonne, celle-ci nous attire vers l’intérieur. Soit il y a un rayonnement qui apparait au milieu de l’objet et amène une lumière. Ce sont deux choses différentes. L’un vers le sombre et le repos, l’autre vers la lumière et la joie. Chaque fois, je sens un arbre par le mouvement, alors que dans Les vies silencieuses, je trouve quelque chose qui m’absorbe, qui me comprend, qui m’écoute. Je peins Les vies silencieuses en hiver, à la maison, les arbres, dans la chaleur, l’éblouissement, dans des circonstances de grand vent. Ce sont deux vies qui se complètent.
Comment travaillez vous la couleur ?
A chaque fois, je change de couleur pour qu’un mouvement-geste attire l’autre et vienne comme son complément, comme dans la musique, un motif se transforme et devient un autre. Quand cette mouvance devient physique en nous, souvent on peut quitter la forme. Dans ces arbres-là, je sens que je n’ai plus besoin d’observer. L’arbre est en moi et le mouvement peut venir de moi. Je commence presque toujours par les trois couleurs primaires qui contiennent le bleu, le jaune, le rouge et amènent un très grande vitalité sur le papier, quelque chose de très violent et agressif. Une fois les trois primaires posées, j’arrive avec des couleurs plus douces pour atténuer cette force et l’harmoniser. Cela créé du souci de rester dans une forme, de nous référer à une forme.Je peux passer du regard à l’intériorité, à une autre forme de vie. Je ne quitte pas le monde extérieur car c’est par la que je me nourris, le fait que je soit devant cet arbre, je sens sa force, sa vibration. C’est une vie, vraiment, c’est physique.
Et la vibration?
Les vibrations. Il y a des vibrations psychologiques et les autres, des vagues que la nature amène. La rencontre de ces deux tempos crée quelque chose de très physique. Elles traversent le corps et l’esprit. Le corps devient pus intelligent. Dans ces dessins, nous sentons deux mouvements, le mouvement de la nature qui a un tempo très vaste, très lent qui vient de loin. Il s’arrête, il revient et d’autre partent. C’est un monde qui a une forme de lenteur que l’on peut mesurer avec notre respiration. Il y a donc un mouvement qui va vers la profondeur et un autre vers la vastitude.
Il y a des passages aussi dans votre travail …
Par exemple, s’il il y a un passage, le vide veut intervenir. Comme si le vide était un grand fleuve et le passage, un chemin qui doit trouver un endroit pour traverser. C’est un endroit où la forme s’ouvre pour traverser vers un monde plus fluide, vers le vide. Entre les deux, il y a une courbe et une droite. Mais cela ne se voit pas vraiment. Mais pour le pinceau ou le fusain ce sont elles qui parlent, c’est comme une langue. C’est là-dedans que l’énergie passe ou ne passe pas. La matière du fusain est merveilleusement tactile et le fusain transforme la sensation en dessin.
Vous travaillez différemment avec le fusain ?
Oui, dans un dessin comme celui-ci, il y a parfois des forces qui traversent d’un endroit à l’autre. Mais dans ce cas, j’ai travaillé beaucoup plus sur l’espace, sur la rondeur que sur la force intérieure de l’arbre. Il y a une ondulation que nous sentons sans le savoir. Il y a une forme de spirale qui a lieu à l’intérieur d’une ligne de force. Une peinture comme cela je la fais en une dizaine de scéances. J’amène à certains endroits une intensité. C’est un travail sur la fluidité.
Préférez-vous travailler le fusain ou la couleur ?
La couleur est beaucoup plus difficile. Quelque chose de mon corps aime dessiner au fusain. Pour moi, la lumière dans le monde demande une attention particulière qui ne vient pas automatiquement. Le fusain a un contact plus direct et je crois que je maîtrise beaucoup le dessin et la peinture est toujours pour moi un petit drame. Quand il n’y a pas de drame, c’est un très mauvais signe…
L’arbre représente pour vous la figure humaine ?
L’arbre est plus accessible que l’être humain. Nous avons nos problèmes psychologiques qui font que nous sommes soit trop attiré, soit nous avons peur… L’arbre ne nous exige pas des sentiments humains mais des sentiments de la nature. Nous sommes de la même nature mais nous n’avons pas les mêmes problèmes. Dans ce sens, il est au-dessus de tout. L’arbre représente un très haut niveau par rapport à moi, ce n’est peut être pas dieu, mais pour moi, une grandeur.