L’exposition « AÉROSOLTHÉRAPIE » présente divers travaux plastiques de quinze peintres ou dessinateurs utilisant tous l’aérosol ou l’ayant utilisé – Jules Olitski et Roland Topor, de la partie, sont décédés respectivement en 2004 et 1997. L’écrivain et historien de l’art Paul Ardenne a écrit le texte de préface de l’exposition et vous présente les artistes pratiquant l’aérosolthérapie.
« Cette utilisation s’avère d’une nature diverse, protéiforme. Certains artistes ont recours à la bombe de peinture de manière exclusive, soit pour tracer, soit pour recouvrir la toile ou le support du dessin. D’autres, plus parcimonieux ou plus aventureux, en usent en complément de manières de peindre ou de dessiner plus conventionnelles. Le spray, l’acte de vaporisation, vient dans ce cas enrichir à la fois leur palette, la composition et l’effet stylistique produit. L’aérosolthérapie, la technique de soin qui fournit à l’exposition son intitulé, consiste à faire inhaler à un malade, par nébulisation, des médicaments en suspension dans un gaz, et ce, pour acheminer dans sesvoies respiratoires un micro-brouillard (l’aérosol au sens strict) de substances curatives. Rapporté à l’expression artistique, le principe aérosol-thérapeutique entend suggérer que la peinture aérosol, la Spray Painting, n’est pas sans effet sur l’état même de la représentation, picturale comme graphique. Légère par sa matière mais dense par ses effets, celle-ci peut agir comme une relance inventive, comme un renforcement, comme un étai bénéfique. Son pouvoir de dynamiser l’art pictural ou le dessin en fait un allié essentiel, fraternel, secourable au besoin, de la création plasticienne. Les vertus du pneumatique Dans l’imaginaire contemporain, peinture aérosol et bombe de peinture sont congénitalement affiliées au Street art, qui s’en empare dès son apparition, dans les années 1960. Le succès des bombes Montana, peu chères, aux « caps » (diminutif de « capule », le bouton-pression surmontant la bombe) de dimension variée, a alors pour corollaire le graduel recouvrement des murs enregistré bientôt urbi et orbi. La Spray Painting, avant d’être un style, est le résultat d’une nécessité, celle de graffer le plus vite possible l’espace urbain, en prenant de vitesse la police, peindre sans autorisation dans l’espace public étant un acte illicite souvent rudement sanctionné (dès 1972 à New York). Le terme anglais spray désigne la « vaporisation » ou l’ustensile qui la permet, le vaporisateur. Appliquée sur une surface non pas à la main ou au moyen d’un outil de type truelle ou pinceau, de la matière légère est soufflée par projection sur le support à peindre, sans contact direct. Cette technique, débitrice de la puissance pneumatique (pneuma, le souffle en grec, pour Aristote l’énergie principale du monde), se repère comme une des plus anciennes manierae que consigne l’histoire de l’art. La vaporisation de pigments colorés humidifiés, dans l’Histoire, suit de près le malaxage (pigments mélangés à de la terre, dans les sépultures notamment) autant qu’elle accompagne la peinture sous ses formes premières d’expression, une peinture de pigments naturels que l’on répand au moyen des doigts, d’une branche ou, plus tardivement, d’une brosse ou d’un pinceau. Les nombreuses « mains négatives » et « mains positives » (leurs propres mains ou celles et leurs proches utilisées comme pochoirs) léguées par l’art pariétal du paléolithique supérieur avouent l’intérêt des primitifs, déjà, pour le spray pratiqué dans sa forme élémentaire, souffler avec la bouche de la matière rendue liquide recueillie dans la paume, ou en un geste plus sophistiqué, l’expulser tout en vidant de leur air les joues gonflées qui soufflent dans un aérographe, cet os creux dont onse sert comme d’une sarbacane à peinture. On le sait : la modernité artistique, son heure venue, entend bien user de toutes les techniques possibles pour faire valoir son sens propre de l’esthétique, farouchement expérimental. La peinture du 20e siècle n’est pas seulement affaire de pinceau. Le peintre moderne, pour mener son affaire, recourt indifféremment à la queue d’un âne (Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique, par l’âne Lolo, 1910), au couteau (les expressionnistes), à la carabine (Niki de Saint-Phalle), au phénomène physique de la gravité (Masson puis Pollock avec le dripping), à l’automatisation (machines à peindre Méta Matics de Jean Tinguely), au corps nu de femmes enduites de matière colorée (Yves Klein et ses Anthropométries) ou bien encore à l’imprimante numérique, à la brosse à dents, aux balançoires ou aux chasses d’eau (liste non limitative), en un cursus qui épuise goulument toutes les techniques mises à disposition de l’artiste et ceci, d’où qu’elles viennent, territoire même de l’art, univers biologique, gymnique ou monde techno-industriel. Comme le veutcet esprit de captation d’un outillage hors norme, l’aérosol, inventé dans les années 1920 (Erik Rotheim, 1927), se voit pareillement réquisitionné sans délai par la sphère artistique. D’abord utilisée pour vaporiser des produits chimiques (de l’insecticide, notamment), pour modeler les chevelures féminines (les laques) ou servir de diffuseur à parfums, cette « bombe » à air comprimé qu’est l’aérosol voit très vite ses flancs métalliques s’emplir de peinture. Ainsi nourri, le nouvel outil remplace à bon compte le déjà traditionnel mais encombrant pistolet à peinture pneumatique. L’industrie se montre qui plus est généreuse, une infinité de couleurs est proposée aux constructeurs automobiles, de quoi élargir l’intérêt du monde de l’art pour le spray, que l’on s’y approprie bientôt à large échelle. L’éclat de ses couleurs laquées et sa brillance vite devenue légendaire paradent bientôt non seulement sur les murs de nos villes, grâce au geste clandestin des street-artistes, mais aussi sur des pièces d’atelier, comme s’y emploie Andy Warhol dès les années 1960. La Spray Painting, de succès en succès, triomphe institutionnellement avec la fin du 20e siècle. Des artistes venus de l’univers du graffe générique quittent la rue et l’univers des outsiders pour rentrer dans l’atelier, à l’instar d’un Futura. Ils y exportent leurs techniques sur des toiles dont le destin sera dorénavant d’être accrochées dans les galeries, les centres d’art, les collections privées puis les musées. Conversion gagnante. »
Paul Ardenne, Écrivain et historien de l’art.