4+4 a été conçu comme une invitation à 4 personnalités du monde de l’art pour s’approprier l’une des 4 salles d’exposition de la Galerie RX. Chaque invité organise l’exposition personnelle d’un artiste dans l’espace choisi.
Dans le cadre de ce second événement, 4+4 s’articule autour de 4 invités commissaires qui proposent 4 expositions personnelles d’artistes :
Françoise Paviot l Alain Fleischer
Sandra Hegedüs l Julio Villani
Florence Guionneau-Joie l Lionel Sabatté
Isabelle de Maison Rouge l Baptiste Debombourg
L’ESCALIER SOUS LA MER par Alain Fleischer :
Texte sérigraphié sur plaques de verre superposées
DANS UN SITE SOLITAIRE, LÀ OÙ LA CÔTE, SAUVAGE ET INHOSPITALIÈRE N’A JAMAIS RECUEILLI LA MOINDRE EMPREINTE HUMAINE, À L’EXTRÊMITÉ D’UN PROMONTOIRE DE GRANIT VERT QUI S’AVANCE EN DIRECTION DE L’OUEST ET DÉSIGNE LE GRAND LARGE, ULTIME EXTENSION D’UNE TERRE JAMAIS HABITÉE, PURE GÉOGRAPHIE HORS DE L’HISTOIRE, PEUT-ÊTRE TOURNÉE VERS UNE AUTRE TERRE TOUTE INCERTAINE, AU-DELÀ D’UN OCÉAN OÙ NE SE DESSINE JAMAIS LE TRAIT D’UNION D’AUCUNE VOILE D’AUCUN NAVIGATEUR, AU PLUS FORT DU REPLI MARIN DES MEURTRIERS ÉQUINOXES, L’EAU D’UN BLEU D’ENCRE CONSENT À DÉNUDER LA TRÈS PURE BLANCHEUR D’UNE MARCHE DE MARBRE POLI QUI SEMBLE APPELER LE PIED ÉGALEMENT BLANC ET LISSE QUE DÉCOUVRIRAIT SYMÉTRIQUEMENT LE BAS D’UNE ÉTOFFE D’UNE IDENTIQUE QUALITÉ DE BLEU, PREMIER PAS QUI NE MANQUERAIT PAS D’ÊTRE SUIVI D’UN SECOND, L’AUTRE PIED À PEINE JAILLI DES PLIS VERTICAUX DU TISSU SE GLISSANT PARMI LES PLIS HORIZONTAUX DU MANTEAU AQUATIQUE PUIS, LES PAS SUIVANTS VÉRIFIANT LA SUITE DES DEGRÉS D’UN AMPLE ESCALIER S’ENFONÇANT SOUS LA MER, SI BIEN QUE LES JAMBES, PUIS LES GENOUX ET LES CUISSES, D’UNE CONSTANTE PÂLEUR IMMACULÉE, COULERAIENT VERS LE FOND, SE DÉGAGEANT PAR EN-DESSOUS D’UNE TUNIQUE EN COROLLE QUI, DANS LE REFUS DE SOMBRER, MÊLERAIT SA TEINTE ET SES VAGUES À CELLES DE LA SURFACE OÙ ELLE FLOTTERAIT COMME LA PERTURBATION EN ONDULATIONS CONCENTRIQUES, ÉPHÉMÈRE TRACE D’UN ENGLOUTISSEMENT, LE CORPS TOUT ENTIER S’ABÎMANT, VENTRE, SEINS, ÉPAULES, COU, VISAGE, LENTEMENT DÉNUDÉ PAR L’IMMERSION MAIS SIMULTANÉMENT MOULÉ DANS UN VOILE D’UNE ÉGALE OPACITÉ, AINSI DISPARAÎTRAIT À PEINE ENTREVU LE SEUL ÊTRE D’UNE DENSITÉ SUFFISANTE POUR EMPRUNTER LA DESCENTE D’UN TEL ESCALIER, IGNORANT LA FORCE PORTEUSE DE L’EAU, ESCALIER D’AUCUN USAGE POUR LES VIVANTS SINON LESTÉS DE SEMELLES DE PLOMB, MAIS POUR QUELLE PLONGÉE, VERS QUEL ABÎME, À MOINS QU’À TEL ESCALIER N’EN RÉPONDE UN AUTRE, REMONTANT SUR LA LOINTAINE RIVE D’UN CONTINENT OPPOSÉ, OU QU’IL N’EN SOIT LUI-MÊME LA RÉPONSE ET L’ISSUE, À MOINS ENCORE, PLUS INVRAISEMBLABLE HYPOTHÈSE, QUE L’ESCALIER DE MARBRE N’AIT PAS D’AUTRE FIN QUE SA DERNIÈRE MARCHE, DÉJÀ NOYÉE DANS LES PROFONDEURS MAIS POURTANT DERNIER SOL ET DERNIER SURPLOMB SOLIDE AU-DESSUS D’UN GOUFFRE DE TÉNÈBRES LIQUIDES QU’AUCUN REGARD, MÊME EN PENSÉE, NE SAURAIT INTERROGER, DERNIÈRE OU PEUT-ÊTRE AVANT-DERNIÈRE MARCHE SUR LAQUELLE SONT SIMPLEMENT GRAVÉES, EN CARACTÈRES ROMAINS, LES LETTRES : N / R.
Présentation
« L’escalier sous la mer » est une descente par l’écriture jusqu’au seuil où la terre manque sous les pieds de celui ou de celle qui s’aventurerait, en apnée, à descendre les degrés d’une mystérieuse architecture sous-marine. Après la dernière marche : le gouffre. Ce texte appelait sa mise en espace, il la trouve sous la forme d’une sculpture littéraire, ou plutôt poétique, où chaque ligne est sérigraphiée sur une feuille de verre et, ainsi, de marche en marche, de surface en surface, une ligne après l’autre, le texte s’enfonce dans l’épaisseur d’une fausse transparence qui, par la superposition des couches, finit par devenir un volume opaque. Cette pièce est à ce jour mon unique tentative d’offrir à l’écriture une géométrie dans l’espace, non pour la faire émerger dans une quelconque monumentalité, mais au contraire pour qu’elle s’enfonce dans une géométrie de la disparition, de la perte, de l’oubli. Pour cela, il a fallu que l’eau, masse translucide et compacte, indivisible, trouve une analogie dans la superposition des feuilles de verre d’une sorte de scan qui la découpe, couche par couche, ligne par ligne, jusqu’à l’abîme final qui résiste à toute tentative de l’architecturer, de l’aménager en escalier, sous les pas d’un mortel, même déjà mort.
Alain Fleischer