Katharina Ziemke, Paris, Galerie Zürcher, jusqu'au 18/02/15
Comment ne pas être subjugué par les encres de Katharina Ziemke ? Depuis 2012, après avoir travaillé sur des décors de théâtre à Berlin, l’artiste livre des oeuvres exceptionnelles en noir et blanc sur papier ou sur bois d’un expressionnisme à couper le souffle. Aussi bien dans ses portraits de 2013 que dans ses dernières oeuvres présentées à la galerie Zürcher. Immenses. Et magnifiques. Touchés.
Sweet Ghosts of Doubt
« Hamlet quinze fois. L’encre de chine est la technique médiumnique par défaut. L’erreur y est à peine supportée et le hasard est au cœur du geste. Quinze fois le monologue d’Hamlet se répétant sans cesse. Katharina Ziemke offre à chaque itération une nouvelle chance au prince vêtu de noir de ne pas suffoquer dans la mélancolie. Dans la subtilité de l’interprétation et la délicatesse d’un lâcher-prise, les visages se dissolvent dans la douleur ou l’extase simple, des sourires cachent des cris. Eugène Delacroix peignit en 1835 Hamlet et Horatio au cimetière. Autour du crâne central circulent les états d’âme. Dans le polyptyque The Kingdom se déploient les mêmes essences, la vanité en suspens.
Katharina Ziemke travaille depuis quelques années exclusivement sur papier. Outre ses encres réalisées sur un papier de riz particulièrement retord, rendant l’exercice encore plus instable, elle consacre désormais la majeure partie de son temps à creuser à la pointe d’une lame la surface de cire noire de fins sillons horizontaux dévoilant un fond abstrait, aux couleurs vives savamment réparties en fonction de son sujet.
Entre les strates de cire surgissent les corps, les gestes suspendus, les visages réfléchis et posés. Entre la nuit et l’enfer coloré habitent ces corps familiers. Traverser la nuit pour trouver le feu. C’est sur ce chemin qu’apparaissent les images, c’est dans cet entre-monde que se terrent ces personnages détournés de leur simple origine de papier. Comme dans un théâtre d’ombre, Katharina Ziemke convoque un passé encore tiède, celui du film noir, d’une Amérique criminelle mais romanesque pour nous distraire de l’évidence même des œuvres. Elle peint des corps luminescents, défiant l’abysse, jusqu’à ce que le spectateur même soit en contre-jour (Manhattan Monkey). Elle peint une voiture vomissant Bonnie sur le trottoir, dont la portière affublée de ces yeux de balles nous enferme dans un espace qu’elle répète trois fois. Ce sont des corps en urgence, que la nuit ne peut contenir. C’est son sujet, le cœur de ces années d’œuvre. C’est de cette obsession de la couleur que naît une lumière nouvelle.
« Mourir… dormir, dormir ! peut-être rêver ! Oui, là est l’embarras. »* Damien Cado.
* William Shakespeare, La Tragique Histoire d’Hamlet, prince de Danemark.
« Katharina Ziemke », galerie Zürcher, 56, rue Chapon, 75003 Paris.
(Images, Katharine Ziemke, copyright de l’artiste, courtesy Galerie Zürcher, Paris)